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des individus sur les destinées des peuples : la vie d’un souverain comme François-Joseph réfute ces théories aussi bien par ses actes que par ses abstentions. Qui pourrait affirmer, s’il était mort plus tôt, que d’irréparables calamités n’auraient pas été épargnées aux enfans des hommes ? Celui qui a régné en autocrate, — ou peu s’en faut, — sur l’un des grands empires de l’Europe depuis cette mémorable époque de 1848, d’où est sorti tout l’arsenal d’idées dont vit la politique contemporaine, jusqu’à la plus grande des guerres de tous les temps, d’où un monde nouveau s’apprête à sortir, a tracé profondément à travers l’histoire son sillon sanglant. Quel homme était-il et comment a-t-il compris et exercé son métier de roi ?


I

François-Joseph n’a jamais été un homme de pensée. Il n’a eu qu’un petit nombre d’idées simples et courtes, héritées ou acquises dès sa jeunesse, absorbées inconsciemment dans l’atmosphère de la Cour et, durant sa longue carrière, tandis que, de 1848 à 1916, tout se transformait autour de lui, il s’y est tenu. L’expérience et les circonstances ont pu modifier ses procédés de gouvernement sans toucher à la trame de ses conceptions fondamentales. A peine est-il permis de donner le nom d’idées ou de conceptions à des habitudes de penser, à des manières de sentir innées ou incorporées à la substance même de sa personnalité et de sa fonction royale, immuables et rigides dans la mesure même où elles n’étaient pas sorties d’un effort de réflexion individuelle. Sa mentalité n’est donc pas compliquée et ne se dérobe pas à l’analyse.

L’empereur Ferdinand n’ayant pas d’enfans, l’ordre légitime appelait au trône son frère l’archiduc François-Charles, et, après lui, son fils aîné François-Joseph. Celui-ci fut donc, dès sa naissance, destiné au trône et nourri dans le sérail : c’est un porphyrogénète. Il y aurait une curieuse étude de psychologie historique à écrire sur le caractère des princes nés pour le trône comparé à ceux qu’une série d’accidens imprévus y a portés. Entourés dès le berceau de flatteries et de génuflexions, habitués à se considérer comme des maîtres à qui tout est dû et qui ne doivent rien à personne, portés à confondre toutes choses, et d’abord l’Etat, dans leur propre