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On n’embourgeoise pas une Euménide. — Viens
Vers nos temps fabuleux, sismiques, diluviens !
Il te faut les grands jours d’un siècle et d’une race,
Et dans les petits jours ton aile s’embarrasse !
Rendre, quand il le faut, un peuple forcené,
C’est pour cela qu’un soir ton chant terrible est né !
Franchis l’heureuse paix pour qui tu n’es pas faite !
Passe vite au-dessus des plaines de défaite
Où l’on t’avait trop tard appelée au secours !
C’est nous qui t’attendons ! Brûle l’Histoire I Accours !
Ah ! ton vol se rapprocheI Enfin ! tu vas donc faire
De nous ces furieux que ton âme préfère,
Pleins d’une sainte écume et du plus juste fiel,
Et nous sauver encore ! — O miracle éternel !
O Provinces donnant, pour sauver la Patrie,
La Lorraine une enfant, l’Alsace une Furie
Qui lève dans l’espace et brandit dans le temps
Un étendard de sons déchirés et flottans !

Tu viens ! — et tout d’un coup tu disparais… Serait-ce
Qu’il faut que toute Gloire un moment disparaisse ?
Mais elle n’est pas morte ! — Où donc est-elle ? — Elle est
Dans la prose aux sursauts brusques de Michelet !
Où donc est-elle ? — Au bout de l’Avenue altière
Elle est dans le cri noir de la bouche de pierre !
La tigresse des soirs de Révolutions
N’est pas morte, car bien souvent, quand nous passions,
Nous avons entendu miauler sa colère
Dans un accordéon de quartier populaire.
La voilà qui revient, dans des fanfares… Ciel !
Le chant national n’est plus qu’officiel !
Est-ce qu’on va pouvoir, grande Voix étouffée,
D’entre les orphéons ressusciter Orphée ?