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Alors, dans cette rue humble « de la Mésange, »
Le Souffle entra. L’homme était pauvre. Il était pur.
Il était fier. C’était un capitaine obscur
Qui sortait d’une fête où des voix enflammées
Avaient dit : « Il faudrait un chant pour nos armées !
Qui le composera ? Rouget de l’Isle, toi ! »
Et la chambre est pareille à celle, sous le toit,
Où, ce soir, Bonaparte, en rêvant, tu te couches !
Qui sont les artisans des chefs-d’œuvre farouches ?
La Pauvreté, toujours, et l’Orgueil ; ce sont eux !
— Un mauvais violon, un pupitre boiteux,
Un habit d’officier jeté sur une chaise…
C’est de là qu’elle va partir, la Marseillaise !

« C’est vrai qu’il faut un chant, disait l’homme enivré.
Le sombre Ça Ira qui piétine, c’est vrai,
N’est qu’un bruit de sabots qui demandent des ailes ! »
Et, de son violon tirant des notes grêles,
L’homme cherche à donner des ailes aux sabots !
Il cherche…

Tout d’un coup, les sons deviennent beaux.
Le Souffle vient d’entrer. Le Souffle se fait Verbe.
Est-ce toi, violon, qui chantes si superbe
Sous les doigts d’un modeste élève de Grétry ?
Ce grand cri, meurtrier tout ensemble et meurtri,
Est-ce lui qui le pousse, et toi qui l’accompagnes ?
« Egorger… dans nos bras… nos fils. ..et nos compagnes !… »
Et l’homme, répétant avec colère : « Nos, »
Blême d’imaginer des crimes infernaux,
Se penche, et, les doigts vifs sur l’ébène du manche.
Sent tout son cœur glisser dans ce bois creux qu’il penche !
Il pleure chaque fois qu’il trouve un nouveau cri.
Mais des cris peuvent-ils s’écrire ?… Il les écrit.