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à la maison, « ne cesse pas, jour et nuit, de mener une vie terrible autour de soi, faute pour lui de pouvoir épancher sa fureur sur le dos des Anglais. » Ou bien c’est un jeune sergent qui, en présence du père de Dorette, rudoie impitoyablement un vieux « conscrit » aux cheveux blancs. Il l’accable d’injures et le menace des peines les plus sévères, pour le stimuler à « décomposer » avec plus d’agilité les divers mouvemens du « pas de parade. » Et comme M. Wetterstein s’étonne de cet excès de rigueur :

— C’est que, voyez-vous, répond le sergent, les progrès de ce nouveau soldat me tiennent au cœur tout particulièrement : car il faut que vous sachiez que ce vieux est mon père !… Allons, soldat Schrumke, tu as eu assez de temps pour reprendre haleine : les mains sur les hanches, le pied droit levé, et en avant, marche ! Mais tu n’es donc bon à rien, dis, soldat Schrumke ?

L’exercice achevé, le sergent Schrumke change brusquement d’attitude et de ton.

— Écoute un peu, papa ! murmure-t-il presque timidement. J’ai dépensé l’argent de ma paie, et j’aurais encore quelques objets à m’acheter. Ne pourrais-tu pas me donner une quinzaine de marks ?

Et M. Wetterstein découvre enfin le motif véritable de la sévérité disciplinaire du jeune sergent. Le fait est que celle-ci est surtout, pour le fils Schrumke, un moyen de « chantage. » Pour peu que Schrumke père hésite à donner la somme demandée, son fils le menace de le traiter encore deux fois plus durement, lorsque, tout à l’heure, il pourra l’avoir de nouveau « sous sa coupe. »


Encore m’aperçois-je que tout cela, ainsi séparé de son a contexte, » ne saurait donner une juste idée de l’odeur de pourriture intellectuelle et momie qui ressort pour nous de chaque page de ce roman « humoristico-patriotique. » Et que l’on ne s’imagine pas que cette odeur vienne là, simplement, de la plume et de l’encre du baron von Schlicht : je l’ai retrouvée toute semblable, — ou parfois même plus forte, — dans d’autres romans « du temps de guerre, » dont les auteurs n’avaient, certes, aucune ombre d’intentions « humoristiques. » C’est décidément dans la vie et dans l’âme allemandes qu’il y a « quelque chose de pourri, » — comme jadis dans le royaume du beau-père d’Hamlet.


T. DE WYZEWA.