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comme « faiseur de cour, » eh bien ! je serais ravie de l’avoir près de moi pendant mon séjour dans votre triste ville !

Aussi bien a-t-on pu voir déjà que l’élégante jeune veuve ne s’embarrassait pas de « fausse modestie. » Avec la même aisance qu’elle a mise à renseigner sa nièce sur l’immensité de ses revenus, elle est prête à reconnaître, par exemple, que jamais elle ne s’est regardée dans un miroir sans se trouver « ravie » de ce qu’elle y découvrait. A un vieux commandant qui s’étonne de ce qu’elle n’imitât point les autres dames de la ville dans leur zèle à tricoter des chaussettes pour les soldats, elle répond naïvement que « ses mains sont trop fines et trop délicates » pour s’abaisser à des travaux de ce genre. Et comme le vieil officier lui reproche ensuite de ne porter que des robes qui lui viennent de Paris, — sauf, d’ailleurs, pour ces robes à risquer d’être sensiblement démodées, si l’on songe que près d’un an s’est passé sans que Mme von Duffel ait eu la possibilité de se remettre en rapports avec ses « fournisseurs » parisiens ordinaires :

— Voulez-vous que, pour une fois, monsieur le commandant, — lui répliqua-t-elle — nous disions franchement les choses comme elles sont ? Eh bien ! malgré la guerre et toutes vos préventions, vous n’en êtes pas moins un homme pareil aux autres, un homme qui prend plaisir à voir une jolie femme élégamment habillée, d’une manière qui lui sied et qui s’accorde avec sa figure ! Et, donc, malgré la guerre, la vérité est que je vous plais, telle que je suis : mais on vous a excité contre moi, et naturellement, cet « on » se trouve être des dames qui ne possèdent ni le goût ni les moyens de s’habiller comme je le fais !

Ai-je besoin d’ajouter que, devant une créature aussi délicieuse, le pianiste de génie et le vieux commandant lui-même ont vite fait de se transformer en d’humbles « faiseurs de cour ? » Et que si le vieux commandant n’a guère, pour nous intéresser, d’autre trait distinctif qu’un « lumbago » à peu près permanent, qui du reste n’empêche pas toutes les femmes et toutes les jeunes filles de la ville d’aspirer de toute leur âme au privilège de lui plaire, le fait est que le pianiste Willi Torwald, lui, aurait de quoi nous apparaître un admirable « pendant » de l’ensorcelante Mme von Duffel. En sa qualité d’artiste « mondial, » accoutumé à se pourvoir de chemises à Londres et de smokings à New-York, personne dans son entourage présent ne s’entend comme lui aux subtils artifices de la « galanterie. » Il vient de rencontrer Mme von Duffel au souper de la « soirée de guerre » dont il était question tout à l’heure ; et aussitôt un