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bien convenu que nul ne devait se risquer, sous peine d’être détruit.

Oui, mais pour les neutres ?…

« Plus un neutre ne pourra naviguer si nous faisons la guerre à outrance, » disait à Cologne, au congrès des nationaux libéraux, le député Stresemann. C’était vers le 20 décembre, au moment où l’Allemagne conservait encore quelque espoir de duper ses adversaires avec sa proposition de négocier. Voulait-elle, en même temps, frapper l’imagination des neutres, au point que ceux-ci s’avisassent de peser, en faveur d’une paix prématurée, d’une paix allemande, sur les décisions des Puissances de l’Entente ? Il se peut. Mais comme déjà ses submersibles ne se privent point de couler les non-belligérans,

— les malheureux Scandinaves, surtout, savent à quoi s’en tenir ! — on doit se demander si l’unique différence de traitement ne consistera pas dans l’usage, à l’égard des marins survivans des navires neutres détruits[1], d’une clémence sur laquelle ne doivent plus compter les équipages des nôtres.

La décision — déjà mise en pratique, au demeurant, — de semer les mers de l’Europe de mines automatiques dérivantes, rigoureusement prohibées par le droit maritime international[2], aura des répercussions lointaines. Bien des mois, des années même après la conclusion de la paix, des navires de toute espèce seront détruits par l’explosion d’un de ces redoutables engins errant à l’aventure au gré des courans.

Or, il ne faut pas se le dissimuler, les Allemands ont pris à cet égard des déterminations inflexibles. Qu’on ne s’avise pas de leur objecter que leur propres bâtimens pourront, plus tard, être victimes de ce procédé de la « guerre atroce » dont rêvent leurs imaginations surchauffées. Pour eux, pour les fidèles et dociles disciples des Clausewitz, des Bernhardi, des von der Goltz, tout s’efface devant l’essentiel intérêt de faire immédiatement à l’ennemi le plus de mal possible. Sans doute il se peut bien qu’un de leurs submersibles heurte une mine allemande, — c’est arrivé, je crois, déjà… — mais peu importe, le

  1. Il est entendu que tout ceci ne s’applique pas au grand neutre, celui de l’autre côté de l’Atlantique ; l’Allemagne est obligée, quoi qu’elle en ait, de ménager celui-là.
  2. Ces mines ne sont « tolérées » qu’à l’expresse condition qu’un mécanisme particulier les rende inoffensives au bout d’une heure après qu’elles ont été jetées à l’eau. Cette condition n’est pas remplie par les mines allemandes.