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un vulgaire caporal de Landsturm. » Il ajoutait : « J’ai un fils. S’il était à l’âge d’homme, je n’ambitionnerais pour lui qu’un destin : tomber, à l’instar du plus obscur des soldats de France, pour le salut de l’humanité. »

Nous ne pouvions malheureusement pas attendre du clergé catholique qu’il se prononçât avec une franchise aussi hardie sur la bonté de notre cause. Outre qu’il se considérait sans doute comme obligé d’imiter la discrétion papale, il n’avait pas le droit de perdre de vue que la grande majorité, sinon la presque totalité de ses fidèles était de provenance soit allemande, soit irlandaise. Or, Irlandais ou Allemands, aux Etats-Unis, dans la période actuelle, c’est tout un. Les deux races, la celtique et la germaine, d’origines historiques si adverses et de tempéramens si dissemblables, se sont réconciliées sur le terrain d’une haine commune, récente chez l’une, atavique chez l’autre, — la haine de l’Angleterre. Naturellement, nous y sommes englobés. Hier encore, avant l’Entente cordiale, l’Irlande transatlantique professait pour nous le culte que la mère patrie avait conservé à la France de Hoche, de Humbert, de Napoléon. Mais il n’en va plus de même aujourd’hui qu’avec Roger Casement, « le dernier de ses apôtres et le plus vénéré de ses martyrs, » elle ne consent plus à voir en nous qu’ « une France renégate, mettant son épée déshonorée aux gages de l’ennemie séculaire. » Il n’appartenait certes pas aux prêtres de changer à notre égard la mentalité de leurs ouailles. Mais on eût aimé qu’ils évitassent de la prendre à leur compte et qu’un « father » John Murphy, S. J., ne poussât pas l’oubli de la consanguinité ethnique jusqu’à réclamer l’extermination définitive, par l’archange teuton, du « Gaulois, mangeur de curé ; » on eût aimé surtout qu’il ne se trouvât point un primat de la catholicité américaine, un cardinal, pour absoudre les atrocités allemandes « comme un faible châtiment de la perversité française. »

Ce ne furent là, il est vrai, que des manifestations isolées, purement individuelles, dont il serait injuste d’exagérer la portée. Comment ne me souviendrais-je pas, cependant, de la tristesse mortelle qu’en éprouva l’âme la plus évangélique peut-être qui m’ait admis dans sa confidence, Mgr Maës, évêque de Covington, dans le Kentucky ! Né Belge, toute sa Belgique maternelle, comme il disait, lui était, depuis la guerre, brusquement remontée au cœur, balayant d’un coup ses