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dans le New-York Times du 2 janvier, par la plume véhémente d’un poète : « Avec une âme angoissée et des yeux de fièvre je lis des récits de batailles et de destructions inimaginables. Et, ici, je contemple de paisibles collines endormies dans la robe de laine immaculée que leur a tissée l’hiver ; j’entends les joyeux cris de l’enfance aux jours d’or, les mêmes qui retentiraient en France à cette minute, n’était que ses champs et ses chemins ruissellent du sang des carnages. O Dieu qui nous juges tous, ne nous regarde pas ! Tapis derrière une phrase vide, nous nous barricadons au fond des sépulcres blanchis que nous sommes, pendant que nos frères se couchent, fauchés par files interminables, pour nous sauver du joug des Huns sans entrailles. Que dira-t-on de nous dans les âges futurs, quand l’humanité feuillettera notre histoire ? Nous serons montrés au doigt, comme des objets de risée, de huées et de mépris. Nous serons ceux qui furent trop chevaleresques pour embrasser la cause de l’honneur, trop sensibles pour obéir aux impulsions de la pitié, trop fiers pour dégainer au nom du droit ! » On n’est pas plus sévère envers soi-même ou, du moins, envers ses gouvernans. Et, sous une forme détournée, quel suprême hommage à la France que ce farouche mea culpa d’outre-Atlantique !

Ils furent, d’ailleurs, quelques-uns, parmi les jeunes Américains de lettres, qui, estimant que ce n’était pas assez de se frapper à huis clos la poitrine, vinrent l’offrir carrément sur nos lignes aux balles de nos ennemis. Je n’avais pas encore repassé la mer, lorsqu’on reçut à New-York l’annonce de la mort de l’un d’eux, Kenneth Weeks, tué à vingt-six ans, dans les parages de Givenchy. Nous nous étions rencontrés naguère à Cambridge, sa ville natale. Quoique à peine au sortir de l’adolescence, il avait déjà fait ses débuts d’auteur dramatique. La France l’attirait. Il en rêvait, me confia-t-il, comme de la Terre promise des littérateurs et des artistes. Amené plus tard à y séjourner, il conçut pour elle une tendresse toute filiale, et, dès qu’il la sut en péril, sourd aux supplications de sa famille comme aux remontrances de ses amis qui le conjuraient de se ménager pour sa carrière, il s’engagea dans la Légion en arguant que c’était le moment où jamais de prouver à cette France de son cœur qu’il ne l’adorait pas seulement en paroles. Dans un de ses derniers billets à sa mère, il écrivait : « Nous nous sommes bien battus et je suis content. Quelque jour je vous