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comme le plus inexpugnable. Il nous montra successivement une tranchée, des abris souterrains, des postes d’écoute, des travaux de sape, tout cela creusé, construit, dissimulé à la perfection. Chaque fois, nous nous enquérions : « Est-ce ici ? » Chaque fois, il répondait : « Pas encore. » Cette promenade durait depuis plus d’une heure déjà, et nous attendions toujours la révélation souhaitée, quand, soudain, quittant la route, notre guide s’engagea devant nous dans un étroit sentier, dévalant au fond d’une petite combe déserte où il ne semblait pas qu’il y eût trace de fortification d’aucune espèce. C’était comme une oasis de fraîcheur, de solitude et de paix inexprimable au milieu de tous les bouleversemens d’alentour. L’officier nous entraîna jusqu’à l’extrémité du minuscule vallon et, nous désignant, derrière une clôture improvisée, une cinquantaine de tertres, la plupart surmontés d’une croix, quelques-uns jonchés de fleurs d’automne, il se découvrit : « Vous avez désiré savoir quel était notre strongest point ! dit-il en se tournant vers nous ; voilà : nos morts. »

Je serrai silencieusement la main de M. Corey. Il avait les larmes aux yeux, moi aussi. Nous nous retrouvâmes, à peu d’intervalle, dans la vieille cité marine d’Annapolis. Il m’apportait, avant de se rembarquer pour la France, la liasse des articles qu’il avait publiés sur elle.

Le premier de la série était daté d’une époque à peine postérieure à mon départ de Cincinnati ; il portait en tête de page cet avis aux journaux : « M. Corey suit maintenant les opérations militaires sur le front de France : il a eu la bonne fortune d’étudier dans des conditions privilégiées les caractéristiques de la méthode française et de s’attirer la pleine confiance des chefs de l’armée comme celle du Ministère de la Guerre. Ce sera, espérons-nous, une réponse suffisante à la crainte, manifestée par d’aucuns de ses lecteurs, que ses sentimens ne fussent pro-germains. » En tout cas, ils avaient complètement cessé de l’être, et j’aurais encore été à temps, si j’avais pu prévoir cette volte-face, pour renvoyer à mon Hippocrate germanophile son aphorisme : « Docteur, lisez Corey. »

Il y a, dit-on, plus de joie au ciel pour un pécheur qui se repent que pour quatre-vingt-dix-neuf justes. Réservons tout de même le meilleur de notre gratitude aux « justes » de la presse et de la littérature américaine, qui, pour discerner sur