Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 37.djvu/423

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Si, après avoir montré, par ce qu’il m’a été loisible d’en saisir, quelle est à notre égard l’attitude du barreau américain, je n’essaie pas d’en faire autant pour le corps médical, c’est que j’en serais fort empêché. Je n’étais pas depuis une semaine aux États-Unis que je recevais du docteur Kilroy, de Springfield, une lettre où il me disait : « Nous attendons votre visite ; mais hâtez-vous de nous venir, sans quoi vous ne nous trouverez plus de ce côté de l’Océan, car nous partons incessamment, ma femme et moi, pour la France. » Voilà, précisément : encore qu’on ne fût à ce moment qu’au début de 1915, la plupart des médecins d’Amérique que je comptais rencontrer sur mon chemin, ou bien étaient en train de partir pour la France, ou bien étaient déjà partis ! Il en était d’eux comme de M. Whitney Warren. Je ne m’informais guère soit de l’un, soit de l’autre, qu’on ne me répondît :

— Comment !… Vous l’ignorez donc ?… Il est chez vous.

Pour un peu, l’on eût été tenté de croire à quelque exode en masse des docteurs du Nouveau Monde vers l’Ancien continent. ; Une dame vénérable s’en plaignait avec humour devant moi :

— Si la guerre se prolonge, force me sera, j’en ai peur, de me passer de la permission du mien pour prendre mon dernier ticket. Mais, — remarquait-elle aussi vite, et sans la moindre envie de plaisanter, cette fois, — ils ont raison : leur place est là-bas, où l’on n’a que trop besoin d’eux.

Ce qu’ils étaient allés y faire, dans ce « là-bas, » c’est aux gens qui les ont vus au travail, dans les hôpitaux, les ambulances, les trains sanitaires, créés, aménagés à leurs frais ou aux frais de leurs cliens d’Amérique, qu’il appartient de le raconter. Moi, de la rive opposée, je n’en percevais qu’un écho intermittent. Mais combien expressif, à l’occasion ! Témoin ce bout de billet qu’un territorial breton, un paysan, me griffonnait vaille que vaille de son lit d’amputé : « Heureusement que, dans mon malheur, j’ai eu la veine de tomber avec les Américains du docteur Carrel ! C’est pas pour dire, mais ceux-là, c’est des frères pour les blessés. On est si bien avec eux qu’on voudrait avoir quelque chose à couper encore, pour rester plus longtemps à être joliment soigné comme ça. » J’ai eu entre les mains tout un dossier de lettres de remerciemens, adressées