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brancardiers du capitaine s’enfonçaient tout doucement dans une brume dorée qui faisait auréole.

Cinq heures et demie. — Nous voilà hors de notre boyau de sape et revenus sur la route. Assis sur la dernière marche d’un escalier que je viens de faire creuser, je regarde devant moi l’horizon merveilleux, dans le calme du soir qui vient après la rude bataille de l’après-dinée. Le soleil, déjà bas, descendait vers les coteaux bleuis comme une hostie vers un reposoir. Et ce sera le seul reposoir que je visiterai aujourd’hui. Triste Jeudi saint, sans église, sans sacrifice, sans communion ! Mais je me suis uni à tous les chrétiens qui fêtaient le grand mystère…


A sa femme

Ce 6 avril 1915.

Il est quatre heures de l’après-midi, et je commence à croire que nous n’irons pas au travail cette nuit. Aussi, au lieu de dîner à quatre heures, nous ne mangerons sans doute qu’à six heures. Après quoi, nous irons nous coucher et nous dormirons peut-être une bonne nuit. Hier j’ai passé une nuit blanche, et je n’ai même pas eu le temps de dîner, car j’ai dû partir, dès quatre heures, avec les officiers du génie, faire la reconnaissance de notre emplacement de travail pour la nuit. Peine inutile, du reste, car, en fin de compte, nous sommes retournés à notre chantier de Pâques, et nous avons continué à creuser sous un ciel sans lune notre boyau en crémaillère. C’est qu’en effet, au point de vue militaire, la journée d’hier a été, je le crois, une déception pour l’état-major. Nous n’avons avancé que d’une centaine de mètres et au prix de durs sacrifices, alors qu’on espérait, sur cette partie du front, un fléchissement très prononcé de l’ennemi. Aussi, au lieu de prolonger bien loin en avant les boyaux des premières tranchées, nous avons dû nous contenter d’améliorer notre ancien travail. Ah ! cette nuit d’hier et de ce matin, elle a été bien mélancolique, et je devais me contenir pour ne pas laisser le doute s’infiltrer en moi, je ne dis pas sur la victoire finale, mais sur la victoire prochaine. Après le si gros effort de la journée, j’avais le sentiment que rien n’était changé sur le front immuable d’en face. De minute en minute les fusées éclairantes s’y succédaient comme le