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entravent la natalité. En même temps, les mariages sont devenus plus rares ou plus tardifs. Les jeunes gens trouvent les dots insuffisantes, et les jeunes filles trouvent trop médiocres les positions des jeunes gens ; cela dans tous les rangs de la société. Dans des lettres venues du front, j’ai trouvé maintes fois la même constatation. « J’ai trente-cinq ans, m’écrit un soldat, et j’ai souvent cherché à me marier ; mais les demoiselles ne m’ont pas trouvé assez riche. Elles ne veulent pas d’un laboureur, d’un journalier. Nous ne voulons pas, disent-elles, tirer la ficelle, si il y a des gosses ; nous voulons un bon employé qui puisse nous nourrir sans rien faire. » Si des demoiselles, pour parler comme mon correspondant, m’avaient fait part de leurs réflexions, plusieurs auraient dit sans doute qu’elles ne trouvent pas de maris parmi les jeunes célibataires endurcis dans leur égoïsme.

Un Américain illustre qui, depuis deux ans, nous a montré la plus vibrante sympathie, écrivait jadis dans un style biblique familier aux Anglo-Saxons : « Quand on peut parler dans une nation de la terreur de la maternité, cette nation est pourrie jusqu’au cœur du cœur. Quand les hommes craignent le travail, quand les femmes craignent d’être mères, ils tremblent sur le bord de la damnation, et il serait bien qu’ils disparussent de la surface de la terre, où ils sont de justes objets de mépris pour ceux qui sont forts et ont l’âme haute. » Ces sévères paroles du président Roosevelt ne s’adressaient à aucun peuple déterminé. Plaise à Dieu qu’aucun trait n’en soit applicable à notre pays !

La diminution de la natalité, qui apparaît d’abord comme un effet de l’abaissement des caractères et des volontés, en devient ensuite une cause. Ce n’est pas en effet dans les familles à fils unique que se prennent en général les leçons d’énergie, tandis que dans la famille nombreuse le goût de l’action a plus de chance de se développer, et les enfans y sentent davantage la nécessité de compter sur eux-mêmes. L’exemple de leurs parens qui peinent pour les élever leur apprend le sérieux de l’existence. Pour les individus, ainsi que pour les peuples, il est mauvais de regarder l’avenir comme assuré, et l’effort constant est la loi de la vie. Le bourgeois et le paysan français ont une vertu assurément très louable, la prévoyance ; mais cette vertu, poussée à l’excès, conduit à la moindre action. « La France, disent nos ennemis, est un peuple de petits rentiers sans