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« Ne parlons pas d’un sujet trop délicat, » disaient avant la guerre les gens satisfaits, qui ne voulaient pas voir leur quiétude troublée et redoutaient les répercussions de tout ordre, que peut soulever une question aussi grave. Ils pensaient apparemment que les peuples qui ont un grand passé ont une longue agonie, et que, en tout cas, la France vivrait aussi longtemps qu’eux. Il s’en est, hélas ! fallu de peu qu’ils n’aient vu, aux heures sombres des premiers jours de septembre 1914, nos héroïques armées, trop peu nombreuses, cédant sous le poids des multitudes allemandes. Non ; il ne faut pas, sous des prétextes plus ou moins sincères, faire le silence. On doit, par tous les moyens, faire connaître au peuple de France qu’il est au bord d’un gouffre d’où ne peuvent plus sortir les nations qui y sont tombées, et que, si rien ne vient nous arrêter sur la pente où nous descendons, notre pays, avant peu d’années, sera rayé de la liste des peuples qui comptent dans le monde.

Quelques faits et quelques chiffres doivent d’abord être rappelés. Au XVIIe siècle, la France est la grande nation ; sa population atteint presque la moitié de celle de l’Europe. Elle est toujours la première au XVIIIe siècle, mais, pendant le XIXe siècle, la diminution de notre population s’accuse de plus en plus. En 1870, la population française était à peu près égale à celle de l’Allemagne, soit 36 000 000 d’habitans ; actuellement, il y a trente-neuf millions de Français pour soixante-six millions d’Allemands. La diminution du nombre des naissances s’accélère d’année en année. Nous trouvons pour mille habitans 26,1 naissances en 1871, 25,3 en 1879, 23,7 en 1888, et, suivant une courbe continuellement descendante, nous avons 19,8 en 1910 et 18,1 en 1914. Le point essentiel est l’excédent des naissances sur les décès ; or, pour les vingt-cinq dernières années, on peut dire que cet excédent est chez nous nul en moyenne. Plusieurs fois, il y a eu un excédent de morts, comme en 1911, où le nombre des décès a dépassé de 34 000 le nombre des naissances. Tandis que nous n’avons aujourd’hui que 18,1 naissances chaque année par mille habitans, l’Allemagne en a 31,6, l’Autriche 33, l’Angleterre 26, l’Italie 33. Pour être au même taux que l’Allemagne, nous devrions avoir par an 500 000 naissances de plus.