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jardiniers de Sarrail. » Que ne puis-je lui envoyer une de ces anémones ? Il ne regarderait pas sans être ému, et son humeur serait moins méchante. Eh ! oui, quand ils s’installent dans un pays nouveau, les Anglais organisent des terrains de jeux et les Français tracent des jardins. Faut-il regretter que, pendant la période de repos et de préparation qui suit la campagne de Serbie, avant la reprise de l’offensive, nos soldats cèdent à l’instinct de la race, et redeviennent agriculteurs ? A mon humble avis, ils ont donné là un très bel exemple, que les Anglais ont suivi, et que les Grecs commencent à suivre, en s’émerveillant… Lorsque s’interrompt l’œuvre destructrice de la guerre, le Français reprend spontanément l’œuvre créatrice, l’œuvre essentielle de la paix. A Sédès, à Topsin, à Vatiluk, à Zeiteulik, autour des tentes, autour des hôpitaux temporaires, autour des postes isolés, dans les villages évacués et bombardés, aux portes mêmes de Salonique, partout, le fin laboureur français draine le sol et creuse un sillon. Il a des outils de fortune, mais le génie naturel supplée aux défectuosités de l’outillage. La terre macédonienne est si grasse, si riche, pénétrée d’humidité, sollicitée par le soleil du printemps qui la caresse et ne la violente pas encore. Notre soldat beauceron ou picard, auvergnat ou normand, a pris dans sa main une motte de cette glèbe noire ; il l’a comparée à celle de ses champs ; et il a ressenti un désir mêlé de jalousie et de regret, ainsi qu’un infini dédain pour les « indigènes. » « Ah ! si j’avais quelques arpens de cette terre-là ! Je saurais bien lui faire rapporter. Mais ici, Madame, les gens, c’est tous sauvages et tous feignans ! »

Opinion simpliste qui ne tient pas compte du climat, de la différence des races, de l’insécurité qui, depuis des siècles, paralyse l’effort du cultivateur, en ces malheureuses contrées balkaniques. Ainsi, par devoir et par plaisir, le Français a fait surgir les jardins et les potagers, au grand profit des estomacs éprouvés déjà par le climat des Dardanelles et qui ressentent l’influence des pays paludéens., Les malades apprécient les légumes frais, — si rares, si coûteux à Salonique ! — et tous chérissens leurs modestes fleurs, crocus et jacinthes, anémones, petits iris. Mais les fleurs ne suffisent pas à l’embellissement des jardins militaires. Les arrière-neveux de Le Nôtre aiment la géométrie décorative des plates-bandes, les lignes bien dessinées