Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 37.djvu/348

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’ils soulèvent, égayée pour un peu de temps encore par des traînées de verdure que le premier soleil de juin dévorera. Un haut bouquet d’arbres autour d’une bâtisse blanche signale le couvent des Lazaristes transformé en hôpital et le cimetière catholique. Ailleurs, des toits presque plats, des murs nus, des maisonnettes qui rappellent les corons flamands ; c’est le village improvisé de Lembet. Non loin de nous un tumulus isolé, énigme non résolue par les archéologues, se dresse, vêtu d’un gazon pauvre. Des officiers, perchés au sommet, regardent quelque chose, avec des lorgnettes. Un vieux capitaine, coiffé du casque colonial se détache d’un groupe et, s’étant fait présenter, nous demande si nous voulons voir le zeppelin.

— Comment donc ! J’en serai ravie !

Et me voilà, escaladant le tumulus. L’aimable vieux capitaine me raconte que les officiers allemands et l’équipage ont été capturés ce matin, par des Serbes, dans le marécage où ils s’étaient échoués. On sait maintenant que le moteur du dirigeable, atteint par quelque projectile, ne fonctionnait plus, et que la lumière des projecteurs rendait toute manœuvre impossible. Le zeppelin était aveuglé, comme un papillon nocturne par le foyer fascinateur d’une lampe. Les Allemands se débarrassèrent des bombes qui pouvaient les anéantir dans le choc de l’atterrissage. Puis, ayant touché terre, ils enflammèrent volontairement les enveloppes du zeppelin.

— Mais on a pu retrouver les moteurs, et les hélices et le pavillon qui n’avait pas brûlé, par chance ! On l’a porté au quartier général, c’est un magnifique trophée…

Cette mort du zeppelin met tout le monde en joie.

— Eh bien ! fait un officier, il parait que les bonnes gens de Salonique font des récits extraordinaires, et que chacun veut avoir tout vu. A les en croire, ils étaient tous sur les toits… C’est comme les canonniers de la marine : ils réclament tous l’honneur d’avoir descendu le zeppelin, et ça va faire des rivalités entre les bateaux. Quant aux aviateurs, ils méprisent les canons ! C’est eux, jurent-ils, qui ont touché le moteur du ballon, avec leurs mitrailleuses…

Cependant, je m’efforce de reconnaître, dans la direction qu’on m’indique, les restes du requin argenté que j’ai admiré, cette nuit, quand il voguait entre les nuages, et je finis par distinguer une confuse tache grise, dans la grisaille mauve du delta.