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venue encore où les gens, écrasés de chaleur, font la sieste, tout l’après-midi, dans les chambres fermées. Il y a beaucoup de monde dehors. Pourtant le travail et le négoce, — le négoce surtout, — continuent leur train, et ce dimanche-ci n’est pas, comme ceux de chez nous, une blanche journée très lente, sonore de cloches et tout ensommeillée d’ennui. C’est que le jour du repos, à Salonique, se répète trois fois par semaine, pour les croyans de trois religions différentes. Le vendredi, ce sont les musulmans qui chôment, le samedi, les juifs observent le sabbat et le dimanche, les chrétiens, — catholiques et orthodoxes, — se donnent loisir de flâner. Aussi peut-on dire qu’à Salonique c’est toujours la semaine des trois dimanches.

Sur le quai, où les tramways grinçans se succèdent et trop souvent s’immobilisent, en panne pour de longs momens, les Saloniciens défilent, vêtus de leurs plus beaux habits, familles au complet, qui tiennent toute la largeur du trottoir, marchent à petits pas, s’arrêtent volontiers, ne se dérangent pour personne et, n’allant nulle part, ne sont pas pressées d’arriver. Entre le jardin de la Tour Blanche où joue la musique anglaise et la place de la Liberté où sont les pâtisseries à la mode, les grands cafés et le Cercle, la procession des promeneurs se traîne, bousculée par le perpétuel mouvement militaire que le dimanche n’interrompt pas. Le kaki des Anglais, le bleu cendré des Français, les chéchias rouges, les képis à galons d’or, les sombres uniformes de la marine, les cols bleus de matelots, foisonnent, et, à chaque instant, nous rappellent que ce pays soi-disant neutre n’est plus qu’un vaste camp où se concentrent des armées.

Les bars et les cinémas aux enseignes extravagantes, aux affiches démesurées, laissent échapper des relens de mastic ou des mélodies cassées par les gramophones. Tout à l’heure, nous avons aperçu, au fond d’un jardin de banlieue, la guinguette qui glorifie en trois langues « l’Imprenable Verdun. » Voici, maintenant, le Bar des Alliés, et le « Rendez-vous des vrais Poilus, » et le café qui se targue, en anglais, d’être the best in Salonica, et en français, « le plus consciencieux de Salonique. » Voici des magasins, de Coopératives, où l’on vend, à prix fixe, toutes sortes de denrées réservées aux seuls militaires ; voici d’affreuses bicoques à deux étages et de somptueuses maisons à terrasses et à loggias ; voici des terrains vagues et