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des officiers ou des soldats ; j’ai visité les casernes, parcouru deux fronts : nulle part je n’ai rencontré sous l’uniforme le moindre signe d’ivresse, nulle part je n’ai vu la moindre trace d’alcool.

Le vin, le rhum et autres produits analogues sont réservés aux malades des hôpitaux et distribués sur ordonnance du médecin. Aussi quelle tenue, quel ordre, quelle discipline dans cette belle et vaillante armée russe !

En publiant l’oukase du mois d’août 1914, le Tsar avait surtout en vue la mobilisation. La Russie avait encore présens à la mémoire les scandaleux excès qui avaient accompagné la mobilisation lors de la guerre russo-japonaise. Des compagnies entières traînaient dans les rues, complètement ivres, suscitant des querelles, occasionnant des rixes, des mutineries et toute la séquelle obligée des conséquences de l’ivresse. En Sibérie, dans une gare, en cours de route, des soldats ivres s’étaient battus entre eux, et le sang avait coulé. On ne comptait plus les vitres cassées et les réverbères démolis. Il n’était que trop avéré aussi que le Champagne des officiers n’avait pas été sans influence sur les résultats de la bataille de Moukden…

Cette fois, rien de pareil, grâce à l’énergique décision de l’Empereur. La mobilisation s’accomplit dans le plus grand calme et avec cet ordre parfait qui en assura si heureusement la rapidité. Il faisait chaud, on avait soif. Dans les stations, chaque soldat s’approchait de la fontaine, vidait son gobelet, puis remontait tranquillement prendre sa place dans son fourgon.

Le succès de cette réforme momentanée décida le Tsar à la rendre définitive.

J’ai assisté à la seconde mobilisation : celle des ratniks, ou appelés du second ordre. Même abstinence et mêmes résultats. Pendant des semaines, les recrues ont défilé dans les rues de Pétrograd, précédées de leurs accordéons, suivies de chariots portant leurs bagages quand l’homme ne s’en chargeait pas lui-même. Des femmes, parfois même des enfans les accompagnaient. Pas une bagarre, pas un cri. Des milliers d’hommes se sont ainsi massés sur la Newsky, en face de ma fenêtre, devant le Jardin de la Chauve-Souris où avait lieu le recrutement, sans que la circulation en ait même été troublée. Les formalités terminées, ces hommes se divisaient par petits