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dans les campagnes ?… Le problème sera long et difficile à résoudre. Nous avons déjà élaboré tout un programme. L’important est de passer à la réalisation. D’abord, nous comptons faire appel à l’école ; instituteurs et institutrices sont nos alliés naturels. Mais l’école n’a pas encore pénétré partout. Certains enfans sont astreints à faire chaque jour plusieurs verstes, — 12 ou 15 le plus souvent, — pour se rendre à l’école ; parfois même la distance est telle qu’ils doivent y renoncer.

Et, aussitôt, je me rappelle de quel regard ému j’ai suivi, cet hiver, deux petits bonshommes de dix à onze ans qui s’en allaient, cartable au dos, à travers l’immense plaine blanche près d’une petite gare du gouvernement de Tver !

— La prédication des popes, continue le comte Bobrinsky, complétera l’enseignement de l’école. Nos prêtres trouveront là un bel apostolat humain à exercer à côté de l’apostolat religieux. Nous comptons aussi faire appel aux Cercles de paysans avec l’aide desquels on peut organiser des conférences et une sorte d’enseignement extra-scolaire. Déjà le zemstvo de Poltawa a commencé sa propagande anti-alcoolique dans la région et voté un budget à cet effet.

« Nous attendons beaucoup de la vulgarisation de l’enseignement musical, comme distraction saine pouvant remplacer avantageusement celle qu’offre le traktir. Vous avez pu juger du penchant naturel du paysan russe pour la musique. Ses instrumens préférés sont la balalaïka[1] et l’accordéon. Je suis bien sûr, ajoute en souriant le comte Bobrinsky, que nos braves soldats qui viennent de débarquer à Marseille n’ont pas oublié de les emporter avec eux et d’en régaler leurs compagnons d’armes français, puisque heureusement la musique est un langage universel. Pour 1 rouble 40 on a une balalaïka ; il n’est donc pas de paysan qui ne puisse s’en procurer une ou qu’on ne puisse aider dans cet achat. Je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de répertoires nationaux plus riches que celui des chansons russes. Presque tous nos paysans en connaissent un grand nombre et les chantent agréablement. Lorsque chaque isba aura sa balalaïka ou son accordéon, la tentation sera moins grande d’ouvrir la porte à l’alcool.

« Notez que la Russie a d’excellentes boissons hygiéniques :

  1. Instrument à cordes, assez semblable à la mandoline, mais à caisse triangulaire.