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quittance. La situation nouvelle créée par la guerre et les suggestions du patriotisme ont fait que ces impôts ont été vaillamment acceptés et supportés.

— D’ailleurs, m’a dit le comte Bobrinsky, s’il est vrai que la suppression de l’alcoolisme a fait un grand trou à notre budget, il convient d’ajouter que, dans l’effroyable consommation de numéraire qu’exige la guerre, quelques millions de plus ou de moins passent absolument inaperçus…


VI. — UNE VISITE AU PROFESSEUR BEKHTIRIEFF

Le professeur Bekhtirieff, un des plus éminens psychiatres de Pétrograd, habite Kamenny. C’est une des nombreuses îles de l’embouchure de la Neva. Dès le mois de mai, « les Iles » sont un parc riant ; mais, en février, la neige y efface encore les chemins. Tentée par un froid sec et ensoleillé, j’avais eu la fantaisie de partir seule et à pied. Mal renseignée, je m’égarai dans l’ile. Les maisons habitées en hiver y sont rares, plus rares encore les passans. J’arrivai chez le professeur Bekhtirieff exténuée et avec une heure de retard sur mon rendez-vous. Mes explications et mes excuses aboutirent à une excellente tasse de thé, accompagnée de zakouskis, et c’est au parfum de la chaude et saine boisson que nous abordâmes la question de l’alcoolisme.

— Les avantages que nous avons retirés de la suppression de l’alcool sont tels, me dit le savant professeur, que, dût le budget en supporter des conséquences doubles, il faudrait encore s’en féliciter. En réalité, ces conséquences sont largement atténuées par une rentrée d’impôts incomparablement meilleure et par une augmentation aussi rapide qu’inespérée de l’épargne publique. Depuis qu’elles ne sont plus esclaves de la vodka, les populations rurales ont plus d’argent, elles se nourrissent mieux, s’habillent de neuf et rendent leurs demeures plus confortables. Le bien-être est actuellement tel dans les campagnes que certains paysans refusent de vendre leurs produits agricoles : œufs, beurre, lait, légumes, préférant les consommer eux-mêmes, ce qu’ils n’auraient eu garde de faire autrefois.

« Au point de vue mental, l’amélioration est plus sensible encore : c’est un lieu commun aujourd’hui de dire que l’alcool est le grand pourvoyeur des prisons ; mais s’il nous avait fallu