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agens n’amènent quelque malheureux khandjiste, cueilli sur le trottoir. Tous ne sont pas d’invétérés alcooliques : la misère, l’isolement, les tristesses intimes » en ont poussé plus d’un vers ce maudit khandjon dans lequel ils espéraient trouver l’oubli. Maintenant, réveillés de la mauvaise ivresse, ils s’ennuient loin de leurs travaux accoutumés, de la femme et des enfans. La loi, qui les punit, veut aussi les sauver. C’est pourquoi, dans chaque poste de police, un atelier a été improvisé pour eux. On y confectionne des bottes, des vêtemens pour l’armée. Ici, une vingtaine d’hommes, dont l’aîné n’a pas plus de trente ans, tirent l’alène ou martèlent le cuir. Ce sont de solides gaillards, larges d’épaules, bien musclés et que l’on imagine plus volontiers sous l’uniforme du soldat que sous la souquenille du prisonnier. Tous travaillent avec ardeur. Chacun d’eux est affecté à la confection d’une pièce spéciale, ce qui assure un travail plus rapide et plus parfait. De douze à quinze paires de bottes sortent ainsi journellement de leurs mains.

La présence à l’atelier n’est pas obligatoire pour les détenus. Mais il est bien rare qu’au bout de deux ou trois jours un khandjiste ne demande pas à s’associer à un travail qui fera passer plus vite les heures de sa réclusion, tout en lui rapportant un peu d’argent.

— Il faut voir, nous dit le gardien, avec quelle joie ils accueillent les jours de paie ! La plupart arrivent à réaliser un gain de 75 kopeks à 1 rouble par jour (1 fr. 50 à 2 francs). Beaucoup d’entre eux font parvenir une partie de cet argent à leur famille, se réservant seulement une petite somme pour leur sucre et leur tabac. Quelques-uns même se privent, économisant jusqu’au morceau de sucre de leur thé, afin d’envoyer davantage. Tous reconnaissent le mal que cause l’horrible boisson et se promettent bien de ne plus boire après l’expiration de leur peine. Je crois que l’outchastok en aura sauvé plus d’un.

Ainsi utilisé pour l’armée, le travail des khandjistes apporte avec lui un bénéfice double : bénéfice moral pour l’individu arraché à son vice, à sa paresse, rendu à sa dignité d’homme et devenu conscient de son utilité pour le service de la patrie ; bénéfice matériel pour la collectivité qui, plus que jamais, a besoin qu’aucune de ses forces ne soit perdue.