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sortie du pouvoir. L’ex-président Taft enseigne aujourd’hui le droit politique à Yale, et, lorsque M. Roosevelt quitta la Maison-Blanche, il fut d’abord question, en récompense de ses services, de le désigner pour la direction de Harvard. A plus forte raison est-ce dans le monde des Universités que se recrute l’élite pensante de la nation. Il n’y a guère d’écrivain ayant marqué dans les lettres américaines qui n’ait plus ou moins appartenu au corps enseignant. Et l’on conçoit dès lors de quel poids décisif pèse l’opinion universitaire aux Etats-Unis.

C’est dire aussi que l’Allemagne n’a rien négligé pour essayer de la faire pencher en sa faveur. Elle croyait y avoir beau jeu. N’avait-elle pas été vénérée, pendant près d’un demi-siècle, comme la terre sainte de la pédagogie, et l’Amérique, en particulier, ne s’était-elle pas fait une tradition superstitieuse d’acheminer vers elle, par files innombrables, des pèlerinages ininterrompus de maîtres et d’étudians pour y puiser à sa source même cet élixir de la « Kultur » dont elle s’était assuré le monopole ? Puis, que de coquetteries séductrices le Kaiser n’avait-il pas déployées envers les Universités américaines, sous la forme de cadeaux princiers, frappés au coin du goût allemand le plus pur, tel, entre autres, que le musée de statues d’outre-Rhin qui s’exhibe lourdement à Harvard, ou mieux encore, tel que le livre colossal, — en bois, — bourré de vulgaires imageries, auquel la bibliothèque de Pittsburg s’est vue dans la nécessité d’affecter toute une pièce ! Enfin, il ne faut pas oublier que le « professeur Knatschke, » en personne, opérait à des milliers d’exemplaires dans l’Union. Il s’était faufilé, partout, obséquieux ou arrogant selon l’occurrence, et prêt à enseigner n’importe quoi, mais, de préférence, le français. Le professeur Munsterberg, à qui l’on faisait allusion tout à l’heure, incarne de la façon la plus magistrale un de ses avatars les plus encombrans.

Comment, avec de semblables atouts, l’Allemagne ne se fût-elle point flattée d’avoir promptement à sa dévotion les porte-parole attitrés de l’intellectualisme américain ? Il n’était, se disait-elle, que de leur faire la leçon, comme naguère sur les bancs d’Heidelberg, de Leipzig, de Tubingue ou d’ailleurs. Et elle délégua vers eux ses docteurs les plus qualifiés, des Dernburg, des Kuehnemann, des Kuno Meyer, avec mission d’activer et de coordonner les efforts de leurs congénères déjà