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Pentecôte : les frontons, les tours, les diadèmes, la symphonie montante, les nombres et les cadences d’une pierre transsubstantiée où se jouent toutes les idées et tous les chants de la vie ; — en bas, dans l’ombre profonde et confuse des portails, le chœur des graves et souriantes statues, des saints et des rois qui virent passer les générations de nos rois. Et puis, quand on entrait, une immense pénombre entre des feux sacrés de rubis, de saphirs et d’améthystes, la nappe notre d’un peuple épandu sous les fûts et les arceaux jaillissans, le tiède effluve de cette vie d’aujourd’hui mêlé à l’odeur ancienne des cires et de l’encens ; et tout au loin, sous des buissons d’étoiles tremblantes, un chœur de prêtres dorés autour d’un archevêque en chape, — leurs gestes, leurs évolutions rythmés évoquant, jusqu’à la Gaule de saint Rémi, jusqu’à la Rome des catacombes, tous les temps de notre histoire et du christianisme catholique. C’est ce jour-là, dans l’ombre qui s’épaissit après Vêpres, que, sous l’un des quatre grands piliers de la triomphante croisée centrale, je découvris ce cousin : un mince petit vieux en calotte et foulard, de mine toute chétive et si grave, blanche comme sa barbe, de toutes les années passées dans l’ombre et la macération. Je le reconnus pour avoir vu jadis son portrait de jeune homme en daguerréotype. Et puis je le cherchais un peu parmi les familiers de Notre-Dame, qui la fréquentent aux heures où la foule la délaisse, et dont l’oraison persiste comme la petite flamme solitaire du chœur.

On hésite à noter ces menus détails personnels devant la ruine nationale de Reims. Mais n’est-ce point par de tels souvenirs qu’une des grandes œuvres humaines apparaît à des Français autrement qu’aux hommes des autres peuples ? Nos parens et les parens de nos parens en répétaient le nom, et beaucoup y sont venus prier. C’était un de leurs sanctuaires. Depuis les aïeux du XIIIe siècle, dont les statues des porches nous répètent les traits, la continuité des générations vient jusqu’à nous. Si elles pouvaient parler, ces statues, c’est du français qui sortirait de leurs lèvres.


On arrive, comme jadis, par le côté Nord, où le désastre est peu visible, tant qu’on n’approche pas des grands contreforts de