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maisons. Mais les lumières qui nous entouraient nous indiquaient bien que nous nous trouvions sur cette plage funeste ; leur faible éclat provenait de ces foyers autour desquels se serraient, tremblans de fièvre, les réfugiés, vieillards, femmes et enfans, qui depuis des semaines attendaient, sans abri, un bateau chaque jour promis. Nous passons, pleins de pitié, à travers ces groupes, nous guidant sur les fenêtres éclairées qui annoncent les bâtimens de la douane et du commandant du port de Médua. Mais un obstacle se dresse devant nous dans la nuit ; c’est la foule des réfugiés qui se presse aux environs du point d’embarquement, cohue sans nom, hauts fonctionnaires, officiers, députés, s’efforçant de se pousser dans l’espoir d’être l’un des élus qui seront autorisés à prendre, avec le Gouvernement, passage sur la Ville-de-Bari.

La caravane réussit à franchir cette muraille humaine, et tandis que le lieutenant Hassan Sirdari met nos bagages à l’abri, nous gagnons la douane.

Une échelle plutôt qu’un escalier conduit au premier étage de cette baraque secouée par la tempête. Sur un étroit couloir où s’entassent, à l’abri de la pluie, ministres serbes et secrétaires de légation, trois petites portes donnent accès à de misérables pièces. Dans l’une ; qui sert de bureau à la station de radio-télégraphie italienne, le ministre d’Italie s’est réfugié. L’amiral Trowbridge fait les honneurs de l’autre, recevant avec son flegmatique sourire les ministres serbes, les représentans alliés qui successivement arrivent, épuisés, glacés par les misères dont ils ont été les témoins et sans doute aussi un peu inquiets du sort qui les attend. S’embarqueront-ils réellement dans la soirée ou devront-ils passer à Saint-Jean de Médua, et dans quelles conditions, une nuit et peut-être la journée suivante ? D’un mot l’amiral rassure son monde : « Le bateau partira ce soir, les ordres de l’amirauté italienne, parvenus dans la journée, par T. S. F. sont formels ; mais il faudra attendre le moment propice, » et tout en donnant des instructions à ses officiers, tout en lisant les télégrammes qu’il ne cesse de recevoir, il réconforte l’un d’un verre de wisky, l’autre d’une tasse de thé. Mais la troisième pièce restait fermée. L’amiral m’y fait pénétrer avec mon collègue d’Angleterre, et, spectacle inoubliable de détresse, nous voyons accoudé sur la table de bois blanc, plongé dans ses réflexions, M. Pachitch.