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était indispensable que de nouveaux transports arrivassent sans retard à Médua. Mais, de sa base de Cattaro, la flotte austro-hongroise guettait les mouvemens des navires alliés et faisait de chaque expédition de vivres vers Saint-Jean de Médua une véritable opération de guerre, car il ne suffisait pas de convoyer le transport, il fallait encore assurer sa protection pendant le déchargement. Le coup de main tenté le 17 décembre, sur l’insistance du gouvernement de la République, avait réussi ; une nouvelle expédition aurait-elle le même succès ? Les risques étaient, en tout cas, si grands que le gouvernement serbe ne pouvait pas compter que son armée pût être ravitaillée d’une façon régulière au moyen d’un port d’un accès si dangereux. Et pourtant, chaque jour, affamés, de nouveaux soldats entraient à Scutari. Les attachés militaires, les médecins étrangers détachés à l’armée, s’en étonnaient. Il leur avait semblé qu’une quarantaine de mille hommes seraient à grand’peine sauvés du désastre ; on en comptait 60 000, 70 000, 80 000 et sans cesse l’effectif augmentait, à la satisfaction des ministres serbes qui, connaissant le caractère de leurs compatriotes, nous disaient : « Ils viendront en plus grand nombre que vous ne vous y attendez. Avant d’être soldats, ce sont des paysans ; ils savent les difficultés que rencontre une troupe nombreuse en hiver dans la montagne ; ils vont donc par petits groupes ; ils prennent des chemins différens ; ils mettront du temps pour arriver, mais ils arriveront. Il en est qui, découragés, s’arrêteront en route et voudront rentrer chez eux, mais quand ils apprendront que le Gouvernement s’est reformé à Scutari, ils viendront… »

Dans ce troupeau humain il n’y avait plus ni ordre, ni discipline. Certains officiers craignaient que la Serbie ne fût irrémédiablement battue ; ils se refusaient à croire qu’elle pût continuer la lutte et considéraient presque leur tâche comme terminée, tandis que des agens à la solde de l’Autriche parcouraient les cantonnemens, excitaient les soldats à abandonner un gouvernement qui les avait conduits à la ruine, et ; en vantant les bienfaits de l’administration autrichienne en Serbie, cherchaient à les amener à rentrer dans leurs foyers où leurs familles les attendaient.

Sous l’énergique impulsion du Régent, les ministres, réconfortés d’ailleurs par les encouragemens qui leur venaient de la Quadruple Entente, s’efforçaient de reprendre l’armée en main.