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s’efforçaient de prendre quelques dispositions pour recevoir les débris de l’armée.

La retraite s’opérait par trois voies différentes ; la jonction avec les troupes alliées de Salonique étant devenue impossible par voie de terre, l’état-major général serbe n’avait pas trouvé à Prizrend d’autre moyen pour essayer de sauver l’armée que de la diriger vers la côte de l’Adriatique en la faisant passer par la montagne albanaise. Une armée marchait par Elbassan et Tyrana vers Durazzo où elle avait l’assurance de se ravitailler grâce aux envois des Alliés ; deux autres armées avaient Scutari pour but, l’une par la route qu’avaient suivie les ministres alliés, par Ipek, le Tchakor, Andriéwitza et Podgoritza, l’autre par celle qu’avait prise le Gouvernement. Cette dernière route était la plus difficile et la plus dangereuse ; mais elle était la plus courte, car, dès le 3 décembre, nos détachemens d’aviateurs et d’automobilistes annonçaient en arrivant à Scutari qu’ils ne précédaient que de quelques heures les premières bandes serbes.

Les ministres attendaient anxieusement ces soldats en retraite. Le Prince héritier, pourtant, n’avait pas perdu courage ; se déclarant prêt à lutter jusqu’à la dernière extrémité pour la cause que les Alliés défendaient avec la Serbie, il conservait l’espoir que les soldats qui le suivaient a Scutari partageraient sa volonté de tout faire pour reconquérir le sol national. En présence d’un si grand désastre, cette fermeté calme et réfléchie méritait l’admiration. On vivait, en effet, en pleine débâcle.

Sous l’impression de la défaite, de la retraite, de la poursuite par l’ennemi, de la traversée de la montagne albanaise, ayant tout perdu, mais ayant sauvé leur vie, officiers, soldats, civils, n’avaient plus qu’une idée, partir, se réfugier dans des pays où ils trouveraient le repos, la sécurité ; et sans même savoir comment ils quitteraient Scutari, ils encombraient les consulats pour faire viser leur passeport pour la Suisse, pour l’Italie, pour la France. Au prix de mille souffrances, ils étaient arrivés à la mer qu’ils s’étaient représentée comme le salut ; ils se figuraient qu’ils allaient pouvoir s’embarquer ; une sorte de folie s’empara d’eux quand ils se rendirent compte que la mer n’était pas libre ; qu’il n’y avait pas de bateau à Saint-Jean de Médua et qu’il était impossible de prévoir quand il en viendrait. L’obsession du bateau poussait les uns à continuer leur marche jusqu’à Durazzo et même jusqu’à