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leurs longues étapes à travers la montagne albanaise ; venus directement de Prizrend, par Lioumkoula, le pont du Vizir et la vallée du Drin Blanc, ils n’avaient mis que quatre jours pour faire ce dur voyage que le prince Alexandre, attendu le lendemain, parvint à faire, avec sa garde, en deux jours et demi, alors que pour l’accomplir, il ne fallut pas moins de onze journées aux officiers du grand quartier général : il est vrai que ces derniers escortaient la chaise à porteurs du vieux voïvode Poutnik. Mais si les ministres n’étaient pas trop abattus par leurs épreuves physiques, ils paraissaient en proie aux plus cruelles souffrances morales ; ils parlaient avec émotion des dernières heures qu’ils avaient vécues à Prizrend au milieu de la population en panique, de l’armée en retraite ; ils se rappelaient avec tristesse les manifestations de douleur auxquelles les officiers et les soldats s’étaient livrés quand ils avaient dû abandonner et détruire leurs canons, leurs armes, leurs convois et tout le matériel de guerre que les sentiers de la montagne albanaise se refusaient à laisser passer ; ils se demandaient ce qui resterait d’une armée qui, après avoir combattu sans un seul jour de repos pendant près de deux mois, avait à franchir en plein hiver une région montagneuse et sauvage où elle ne pourrait se ravitailler. Le Prince héritier et ses ministres s’attendaient à voir arriver leurs soldats dans le plus complet dénuement ; ils avaient hâte de les réconforter dans leur détresse.

Mais tout manquait au Gouvernement. Les approvisionnemens promis par la France et par l’Angleterre et sur lesquels ils avaient compté se trouvaient amoncelés sur les quais de Brindïsi et, pour comble de malheur, ceux qui avaient été récemment débarqués à Saint-Jean de Médua étaient détruits par la flotte autrichienne au cours du bombardement du 5 décembre. Il y avait bien à Scutari même quelques ressources, mais les Albanais refusaient de s’en dessaisir, et les autorités monténégrines ne faisaient rien pour en faciliter l’acquisition aux Serbes. En l’absence du ministre de la Guerre, qui se trouvait à Salonique où il s’occupait d’achats et de fournitures, et en attendant l’état-major général, les ministres des Travaux publics, du Commerce et des Finances se constituaient en comité permanent de ravitaillement et, avec un dévouement et un courage auxquels on ne saurait trop rendre hommage,