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dures étapes de conserver notre bonne humeur, mais nous n’avions pas le temps de réfléchir au développement des événemens tragiques dont notre voyage n’était qu’un épisode ; nous marchions, nous échappions à l’ennemi, nous vivions, et c’en était assez. Une fois arrivés à Podgoritza, nous nous ressaisîmes ; nous eûmes hâte d’avoir des informations sur ce qui avait pu se passer depuis notre départ de Prizrend et de donner de nos nouvelles à ceux qui pensaient à nous sans se douter des difficultés que nous avions, traversées.

De Cettigné, nous apprenons que le gouvernement serbe a quitté Prizrend depuis quatre jours et que le Prince héritier ainsi que M. Pachitch sont attendus d’un moment à l’autre à Scutari. Tout est donc fini ! Les armées serbes ont lutté en vain ; la retraite générale a été décidée ; le gouvernement est en fuite. Mais en quel état est l’armée ? Par où se retire-t-elle ? Où est le Roi ? Quels sont les projets du Régent et de son gouvernement ? Quelle est la situation des troupes alliées à Salonique ? Nous nous posons avec angoisse ces questions ; nous ne connaissons qu’un fait brutal : le désastre de la Serbie.

En attendant les instructions de nos gouvernemens, nous voyons arriver à Podgoritza les premiers groupes de réfugiés : députés et fonctionnaires serbes, médecins français, infirmières, missions sanitaires anglaises et russes, tout ce monde se retrouve dans les rues de la petite ville ; on se félicite d’être sain et sauf, on se raconte ses aventures, et c’est à qui aura le plus souffert en traversant les neiges du Tchakor et du Trehvniak. Mais tous ces réfugiés ne font que passer à Podgoritza ; ils ont hâte d’arriver à Scutari, à la mer.

Après avoir été à Cettigné remercier nos collègues et le roi Nicolas de l’accueil que nous avions trouvé depuis notre arrivée sur le territoire monténégrin, nous nous mettons à notre tour en route pour aller rejoindre le gouvernement serbe. Tandis que nos caravanes avec nos maigres bagages contournent le lac par Touzi, des automobiles nous conduisent à Plavnitza, d’où un petit bateau a vapeur nous amène à Scutari dans la soirée du 1er décembre.


Le gouvernement serbe y était arrivé la veille. M. Pachitch et ses collègues avaient vaillamment supporté les fatigues de