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Enfin nous atteignons, au sommet de la montagne, le col, étroit défilé entre deux monticules boisés. Le vent n’a amoncelé la neige que d’un côté du col ; nous pouvons donc passer. Mais, à peine sommes-nous sur l’autre versant que la neige, tourbillonnant autour de nous, nous aveugle. Le froid nous glace ; pendant cet instant de réelle souffrance, nous trouvons près d’un arbre, dont il mange l’écorce, un cheval noir abandonné. Cette vision émeut chacun de nous ; on ne peut s’empêcher de demander ce qu’est devenu le voyageur dont la monture est ainsi perdue en pleine forêt, sous cette rafale de neige. Nous étions littéralement transis quand, par bonheur, un han se trouva sur le chemin. De toutes parts, le vent soufflait par les planches disjointes de l’unique et misérable pièce où nous nous serrions, mais le samovar bouillait et un verre de thé bien chaud nous rendit les forces nécessaires pour atteindre, après plusieurs heures de marche à travers la forêt, le han de Drendar. Deux heures plus tard, nous étions au grand han de Tsarévitch, notre gîte pour la nuit, gîte pittoresque, où les uns sur des lits de camp, les autres sur le plancher couvert de paille, les trois ministres d’Angleterre, d’Italie et de France s’étendaient avec leur personnel, tandis que s’abritaient dans d’autres hans voisins le ministre de Russie et le ministre des Affaires étrangères.

Il restait à nos caravanes deux étapes pour arriver à Podgoritza. En montant dans des carrioles attelées des petits chevaux russes que le Tsar avait depuis plusieurs mois envoyés au Monténégro pour servir au transport des vivres et des munitions, les quatre ministres alliés purent faire en quelques heures le trajet qui séparait le han de Tsarévitch de celui de Garantchichté ; mais que de gués traversés, en manquant vingt fois de verser, que de secousses et de cahots endurés ! Nos carrioles, pourtant, nous déposaient sains et saufs vers une heure de l’après-midi à Garantchichté-han, où nous attendaient des automobiles mis par le roi Nicolas à notre disposition. A cinq heures du soir, nous arrivions à Podgoritza.

Depuis huit jours, nous étions sans nouvelles du reste du monde ; nous avions marché en ne songeant qu’à l’heure présente, ne sachant jamais où nous coucherions le soir ; la caravane à surveiller, le repas à faire, le gîte à trouver, avaient été notre unique préoccupation. Nous nous efforcions dans ces