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la scène dans une autre pièce de leur père, la Foire de Bezons. Leur mère y jouait à côté d’elles, dans le rôle de Marianne. Mimi remplissait le rôle de Chonchette. Mais l’entrée officielle des jeunes filles dans la troupe eut lieu quatre ans plus tard, en 1699 ; Manon avait quinze ans et demi, et Mimi quatorze ans. Elles furent reçues le 13 janvier au Théâtre-Français, et elles débutaient le 7 mars[1]. C’est grâce à l’appui du Dauphin que se fit cette admission précoce, et Dancourt, en dédiant au prince sa comédie des Fées, l’en remerciait publiquement :


… Tes faveurs ne me sont pas nouvelles,
Et ma jeune famille en ressent les effets.
À ce doux souvenir leurs mémoires fidèles
Le conserveront à jamais.


Malgré ces commencemens pareils, la carrière des deux sœurs devait être bien différente. Manon ne tint pas les promesses qu’avaient fait naître ses débuts. Dans les rôles qui lui furent confiés, elle ne fut ni bonne, ni mauvaise, mais médiocre, ce qui est pire. Elle ne connut ni échec ni succès, et, au bout de quelques années, à l’âge de dix-huit ans, elle se retira du théâtre pour épouser Guillaume de Fontaine, écuyer, qui exerçait l’état de commissaire de la marine[2]. Elle n’aurait fait sans doute aucun bruit dans le monde sans sa liaison presque publique avec Samuel Bernard, le célèbre banquier du Roi, « le chevalier Bernard, » comme l’appellent ses contemporains. Sous le charme de sa beauté, le financier lui demeura fidèle, et lui donna le château de Passy[3], où elle mena une fastueuse existence. Manon mourut en 1740. Elle laissait cinq enfans, quatre filles et un fils, dont le père, disait-on, était Samuel Bernard. Toutes les quatre jolies, toutes les quatre galantes, les filles marquèrent plus ou moins en leur temps, et l’on trouve fréquemment leurs noms dans les chroniques du XVIIIe siècle. L’une d’elles épousa Claude Dupin, père de Dupin de Chenonceaux, qui fut l’aïeul de George Sand.

Mimi Dancourt eut une plus brillante destinée. Elle ressemblait physiquement à sa mère, avec qui elle joua souvent ; elle l’égala par le talent, mais dans d’autres emplois, celui des amoureuses comiques, et surtout celui des soubrettes, où elle s’acquit

  1. Archives de la Comédie-Française.
  2. Le mariage fut célébré le 4 novembre 1702.
  3. L’acquisition eut lieu en 1720.