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comporte qu’un ou deux actes, il n’en écrit pas trois ou quatre. Il n’est pas obligé d’enfermer son imagination, son invention et l’action dans le même décor. Il a à sa disposition autant de décors qu’il le désire ; il n’a qu’à écrire, en tête d’une scène, une place, un jardin, une autre partie du jardin, une fontaine, un oratoire… Et cette comédie qui va ainsi de décor en décor, c’est comme un bel insecte qui va de fleur en fleur, s’enfonce dans leur calice où il reste plus ou moins longtemps selon la provision de pollen qu’il peut faire. » On ne saurait mieux dire et définir avec plus de finesse, — et d’autorité, — les raisons qui rendent cher aux lettrés ce genre de théâtre écrit pour être lu par eux : la tradition doit s’en continuer dans cette Revue même qui en fut le premier cadre et la scène originale.

Après cela, il est vrai que ces pièces, qui n’étaient pas destinées à la représentation, ont été représentées : elles le seront sans doute aussi longtemps qu’il y aura un théâtre français, et toujours avec autant de succès : elles font partie du répertoire, au même titre que celles de Marivaux auxquelles on les a si souvent comparées. C’est donc que les conventions dont l’auteur s’est affranchi ne sont pas aussi nécessaires que le croient beaucoup de professionnels. Il y a des règles au théâtre, et c’est un métier de faire une pièce, comme de faire une pendule ; mais ces règles et ce métier se réduisent à quelques observations de bon sens : tel était du moins l’avis de Molière. Ce théâtre, dédaigneux de tout ce qui n’est pas l’humaine vérité, est éminemment « du théâtre. »

Pour le faire passer à la scène il a suffi de quelques raccords insignifians. On a toute liberté pour cette mise en scène : encore faut-il qu’elle ne soit pas une trahison, qui dénature la pièce et la rende à peu près inintelligible. Or c’est le cas pour le Chandelier, tel qu’on le joue actuellement à la Comédie-Française. On le joue dans un cadre du XVIIIe siècle. Jacqueline porte une robe à paniers. Elle est en paniers dès le petit matin, et, quand elle descend au jardin, à l’heure où les clercs arrivent à l’étude, elle emplit de l’ampleur de ses paniers toute la largeur de la scène. C’est une femme qui ne quitte ses paniers à aucune heure du jour, comme les rois de théâtre se promènent avec leur couronne. Clavaroche est en garde française, à moins que ce ne soit en dragon de Villars. L’intérieur de maître André a des richesses de château historique. Maître André et son clerc sont tout parés de dentelles. Ajoutez que le rôle de Fortunio est joué en travesti, comme c’est la coutume dans les théâtres de chant et qu’en effet une bonne part du succès de l’actrice est dans