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nos sacrifices personnels, quel bénéfice matériel avons-nous retiré de notre intervention dans la guerre de l’Indépendance américaine et dans la guerre de l’émancipation hellénique ? Généralement très soucieuse de concilier son intérêt national avec l’intérêt général, européen ou humain, — et n’est-ce pas la formule même des grandes guerres françaises ? — la France est capable, plus qu’aucun autre peuple, de se désintéresser d’elle-même, de se dévouer pour autrui, et dès que les grandes idées de justice et d’humanité sont en jeu, ce n’est jamais en vain qu’on fait appel à sa générosité.

On se tromperait fort si l’on admettait, sur la foi de quelques théoriciens et de certains étrangers, que nos expéditions coloniales sont un démenti infligé à l’habituel idéalisme de notre politique extérieure. D’abord, on oublie que les guerres coloniales sont assez loin d’être de simples guerres de conquête. Quand elles ne sont pas imposées par le souci de la sécurité nationale, comme par exemple les guerres d’Algérie et, de Tunisie, elles le sont par de sérieuses raisons économiques et politiques. Une grande puissance que le partage du monde laisserait indifférente, et qui s’abstiendrait d’y participer, se verrait bien vite distancée par ses rivales, et son prestige, sa prospérité matérielle iraient promptement en décroissant : elle resterait stationnaire, tandis que les autres se développeraient et s’agrandiraient ; elle souscrirait par conséquent à une rupture d’équilibre dont, un jour ou l’autre, elle risquerait de devenir la victime. Les guerres coloniales sont souvent des guerres d’intérêt national. D’autre part, elles ne sont pas nécessairement des guerres injustes et immorales : elles ne le seraient que si elles avaient pour objet d’ « asservir » des populations d’égale culture. Or tel n’est point le cas. Sans vouloir le moins du monde partager les hommes en races inférieures et en races supérieures, nous pouvons croire que les peuplades du Congo ou de Madagascar en sont restées, au moins provisoirement, à un stade inférieur de civilisation. Ce serait un étrange paradoxe que d’assimiler leur notion de patrie à celle des Alsaciens-Lorrains. Il ne s’agit pas d’ailleurs de les réduire en esclavage, mais de les prendre en tutelle, de ménager leurs vrais intérêts, de leur enseigner le prix d’une vie sociale régulière, bref, de les élever peu à peu jusqu’à nous. Nous leur rendons largement en services moraux et sociaux les