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leur manière le génie particulier et la pensée profonde. Nos saints français ne ressemblent pas à ceux des autres peuples : ils ont entre eux comme un air de famille qui les distingue. Si ardente et si pure que soit leur vie intérieure, elle ne les détourne point, et tout au contraire, de l’action pratique ; elle les mêle, de toute leur âme, à cette humanité qu’ils aiment, et dont ils souhaitent passionnément le salut, même temporel. Saint Bernard a été comme le fondé de pouvoirs de la papauté de son temps. Saint Louis a été le meilleur, le plus généreusement actif, le plus juste, le plus scrupuleusement dévoué, le plus humain de tous les rois. Plus on étudie l’histoire de Jeanne d’Arc, plus on est frappé de son lumineux bon sens, et de ce que je voudrais pouvoir appeler son hardi réalisme. C’est par d’autres vertus, c’est par d’autres « facultés maîtresses » que sainte Thérèse, la grande sainte espagnole, et que le Poverello d’Assise, le grand saint italien, se recommandent à notre admiration. Nous ne la leur marchanderons pas, mais nous en réserverons une large part aussi à celui qui, par sa malicieuse et ferme raison, par sa prodigieuse activité, par son amour passionné des humbles, par son inépuisable charité, mérite d’être salué comme notre grand saint français, à saint Vincent de Paul.


III

Le génie d’une race se reflète dans sa religion comme dans sa philosophie et sa littérature ; mais il ne s’impose et il ne se justifie même que par la grandeur et la continuité du rôle historique. Sans Marathon et sans Salamine, la civilisation grecque ne serait pas pour nous tout ce qu’elle est, et Homère, Aristote et le Parthénon n’auraient pas, à nos yeux, tout leur sens et tout leur prix.

De très bonne heure, et comme si elle se sentait appelée à de hautes destinées, la France a pris conscience d’elle-même comme personne morale, et elle a travaillé à réaliser son unité nationale. Son premier roi, Clovis, a eu l’intuition de ce que pouvait devenir le grand pays sur lequel il était appelé à régner ; il en conçut très clairement les limites géographiques, s’appliqua à réduire et à fondre sous son autorité les différentes peuplades qui s’y étaient successivement établies, à en écarter les