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le catholicisme leur avait appris à aimer, — qu’ils ont combattu le catholicisme : semblables, comme eût dit La Bruyère, à « ces enfans drus et forts d’un bon lait qui battent leur nourrice. »

La vérité de l’histoire, on le sait, est tout autre ; et Chateaubriand, dans le Génie du Christianisme, n’a pas eu de peine à la rétablir contre les derniers encyclopédistes. Assurément, le christianisme n’a pas transformé et renouvelé de fond en comble la nature humaine, et trop souvent la religion même a servi de prétexte à un débordement de passions qui n’avaient rien du tout de chrétien. Mais si l’on scrute dans leurs origines tous les progrès d’ordre social ou moral dont nous nous enorgueillissons à bon droit, combien d’entre eux ne devra-t-on pas rapporter à l’influence chrétienne ? Si l’on pouvait supprimer d’un trait de plume ce que Taine appelait « l’apport du christianisme dans nos sociétés modernes, » on serait effrayé du spectacle que nous offrirait le monde ou l’histoire : « un coupe-gorge ou un mauvais lieu, » disait encore Taine. C’est ce que l’on a, presque toujours, très clairement senti en France. « La plus-value humaine, » — selon le mot, un peu bizarre, mais expressif, d’Alexandre Dumas fils, — voilà ce que le catholicisme français a toujours eu en vue. Il est épris d’action plus que de contemplation, et d’action sociale plus que de perfection individuelle ; ou plutôt encore, la perfection individuelle, au lieu de se confiner et de s’absorber en elle-même, se résout toujours chez nous en action sociale. Les subtiles discussions théologiques, les minutieuses recherches d’exégèse, les raffinemens d’une dévotion compliquée, ne sont guère notre fait. Un robuste bon sens qui va droit à l’essentiel, une foi simple et non pas sans nuances, mais sans superfluités ; un goût très vif des réalités morales ; une grande ardeur d’apostolat et un véritable besoin de communiquer sa croyance ; par-dessus tout, peut-être, un désir de fraternité et une sorte de passion de la charité : il semble bien que ce soient là, de saint Martin à saint Louis, et de Bossuet à Lacordaire, les principaux caractères du catholicisme français.

Et ce sont là aussi les traits qui caractérisent, dans l’histoire religieuse, la sainteté française. Car il y a une sainteté française, comme il y a une sainteté italienne et une sainteté espagnole. Si les saints appartiennent à l’Eglise universelle, ils appartiennent aussi à leur pays d’origine, dont ils expriment à