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devient la plus vivante des réalités. Ce n’est même point assez dire. Le catholicisme ainsi conçu ne se laisse point enfermer dans des frontières nationales : il rêve de fraternité humaine ; il travaille à l’union des âmes par l’unification des croyances ; par-delà les divergences ethniques, il veut fonder une « cité de Dieu » qui rassemblera l’universalité des consciences humaines, et dont la « chrétienté » du moyen âge n’a été qu’une bien imparfaite ébauche. Si cette conception du catholicisme, qui a pour elle la plus authentique orthodoxie, n’est certes point particulière aux Français, c’est en France qu’elle a rencontré le plus de faveur, et qu’elle a été, non point seulement adoptée, mais pratiquée avec le plus d’esprit de suite. Le Français est le moins individualiste des hommes ; il est né apôtre ; il aime à penser en commun, à propager ses idées, à prêcher, à convertir. Le catholicisme flattait et utilisait ces profonds instincts de la race. Une religion dont l’excellence ne se traduirait pas par le perfectionnement de la vie sociale passerait vite en France pour une religion fausse.

Et cela est si vrai que l’irréligion française, dans sa lutte contre le catholicisme, n’a jamais développé d’autre objection, ni trouvé d’autre formule. Qu’est-ce que Voltaire et les Encyclopédistes reprochent à la religion de Pascal et de Bossuet ? D’être contraire à la nature humaine, à la civilisation générale, au « progrès des lumières, » aux lois même de la société. Ils reprochent en propres termes aux bons chrétiens d’être de mauvais citoyens. « Quel moyen, dira Montesquieu, de contenir par les lois un homme qui croit être sûr que la plus grande peine que les magistrats lui pourront infliger, ne finira dans un moment que pour commencer son bonheur ? » Réfractaires à tout ascétisme, ne se rendant pas compte que les tendances de la nature humaine ne sont pas toutes également bonnes, et qu’il est d’une bonne hygiène morale et sociale d’en contenir ou d’en réprimer quelques-unes pour permettre aux autres de s’épanouir plus librement, mauvais psychologues et médiocres historiens, nos « philosophes » se sont dérobés à l’évidence : ils n’ont pas voulu reconnaître les innombrables services que le catholicisme avait rendus à la civilisation européenne, dont il était l’un des facteurs essentiels ; ils en ont nié la vertu sociale et l’action moralisatrice. Mais il est assez curieux d’observer que c’est au nom même de l’ « humanité, » — d’une humanité que