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curieux de toutes les formes et de toutes les nuances de l’âme humaine, et, depuis Pascal jusqu’à Ninon de Lenclos, en passant par Jomini, il a, si l’on peut dire, rempli tout « l’entre-deux. » C’est cette curiosité passionnée et toujours en éveil des réalités morales qui fait de son œuvre quelque chose de véritablement unique dans la littérature universelle ; et alors que tant d’autres critiques ont sombré dans l’indifférence ou dans l’oubli, c’est ce qui en fait l’intérêt toujours vivant. Sainte-Beuve nous a légué une prodigieuse galerie de portraits biographiques et moraux plus nombreux, plus variés, plus fouillés que ceux dont l’assemblage compose les Vies parallèles ; son œuvre propre, à lui aussi, a été de collectionner « des cas humains représentés au vif ; » et peut-être, quelque jour, l’appellera-t-on le Plutarque français.


Ainsi donc, dans les genres les plus divers, les plus hauts chefs-d’œuvre de la littérature française sont précisément ceux que leur caractère d’humanité a signalés à la tendre et reconnaissante admiration des contemporains et de la postérité. L’humanité dans toutes les acceptions du mot, c’est donc bien ce qui caractérise une littérature que dix siècles d’une production ininterrompue n’ont pas épuisée. La littérature française est humaine parce qu’elle étudie l’homme ; elle est humaine, parce qu’elle agite sans cesse, et qu’elle fait passer au premier plan les plus hautes questions qui intéressent l’homme, son bonheur, sa conduite et sa destinée ; et elle est humaine enfin parce qu’elle est comme nourrie « du lait de l’humaine tendresse. » Homo sum… On voudrait ne pas rappeler le vers si souvent cité du poète latin, et devenu banal à force d’être cité. Mais comment l’éviter, s’il est comme la devise même de tout écrivain français ?


Et c’est là encore ce qui explique les caractères les plus constans, les qualités les plus vantées de notre langue : clarté, simplicité, probité. A la différence de l’Anglais ou de l’Allemand, même de l’Italien, qui, si souvent, n’écrivent que pour se satisfaire eux-mêmes, pour prolonger leur rêve intérieur de beauté ou de vérité, le Français, lui, n’écrit que pour autrui. Il croit avoir quelque chose à dire, et à dire aux autres hommes. Avant tout, il veut être compris. L’effort qui s’impose à tout