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constructions que j’avais projetées à Navarre et je me félicite d’avoir été de ton avis, même avant de recevoir ta lettre, car je venais d’écrire à l’intendant général de ma maison de se borner à faire réparer le château qui existe et d’ajourner entièrement toute construction nouvelle. Je vais profiter des derniers beaux jours pour visiter la Suisse. Je pars demain et je compte trouver à Berne la réponse de la Reine. Si l’Empereur me conseille de prolonger mon absence, je ferai chercher une maison près des bords du lac pour l’habiter à mon retour de la Suisse et j’irai à Milan pour les couches de ta femme. Le bonheur de revoir mes enfans sera une douce consolation. Adieu, mon cher Eugène, tu sais combien je t’aime. J’embrasse tendrement ta femme et mes petites-filles.

« JOSEPHINE. »

« C’est Billi[1]qui te remettra ma lettre. Il a été très aimable et très dévoué pour moi dans ce pays-ci. »


COPIE DE MA LETTRE A l’EMPEREUR


A Sécheron, le 23 septembre.

« La Reine, qui est venue ici passer deux jours avec moi, me quitte demain pour retourner à Paris. Elle espère avoir bientôt le bonheur de te voir. Permets que je la recommande à ton amitié qui est notre seule espérance. Elle te remettra cette lettre que je t’écris avec le trouble dans le cœur, car chaque instant me fait mieux sentir l’embarras de ma position. Plus j’approche de l’époque que j’avais fixée pour le terme de mon voyage, plus je suis incertaine de ce que je dois faire. Bonaparte, tu m’as promis de ne pas m’abandonner. Voici une circonstance où j’ai bien besoin de tes conseils. Je n’ai que toi dans le monde, tu es mon seul ami, parle-moi donc franchement. Puis-je retourner à Paris, ou dois-je rester ici ? Sûrement j’aimerais

  1. Billy van Berchem avait connu Joséphine pendant la Révolution. Il avait fait fortune dans les fournitures de l’armée d’Italie et était entré dans l’intimité de Barras, de Mme Tallien et de Mme Bonaparte. Il épousa sa cousine Mlle d’Illens, fille d’un Suisse d’Yverdun. Elle était d’une grande beauté et devint l’une des favorites de Joséphine. L’Impératrice, ayant retrouvé Billy à Genève, voulut en faire un de ses écuyers (25 juin 1811) ; n’ayant pu l’obtenir de Napoléon, elle le nomma, de son chef, capitaine de ses chasses à Navarre. Une de ses filles, Augusta, épousa en 1835 Alexandre Pourtalès.