Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 36.djvu/71

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous, Monsieur, mon admiration sincère et mon entier dévouement vous sont acquis et connus.

« CHATEAUBRIAND. »


L’attribution d’une pension littéraire, puis d’une indemnité annuelle[1]pour son travail de Collection permirent à Augustin Thierry de quitter la Haute-Saône et cette maison du cardinal Jouffroy qu’il avait adoptée à Luxeuil pour résidence d’été. Au début de 1835, il vint s’installer à Paris, 11, passage Sainte-Marie[2]. Il devait, jusqu’à la mort de sa femme, mener dans cette paisible retraite une existence quasi bénédictine, non toutefois sans quelque ouverture sur le monde.

Ce furent les années heureuses de sa vie torturée. La plus attentive des compagnes s’employait à l’entourer d’une société d’amis et d’admirateurs dont elle était l’âme après lui. Le modeste « salon vert » de leur appartement devint bien vite le centre des plus attrayantes réunions. Les causeries littéraires alternaient le plus ordinairement avec des soirées consacrées à la musique, pour laquelle l’aveugle avait une véritable passion. Sur les listes d’invitations durant cette période, je relève les noms de Michelet, Henri Martin, Villemain, Félix Ravaisson, Aug. Trognon, les deux frères Ary et Henry Schelîer ; Alfred Nettement, J.-J. Ampère, Guigniaut, Ludovic Lalanne ; Ozanam, H. Fortoul, Egger, Letronne, Monsolet, Géruzez, J.-V. Leclerc.

C’est aussi l’époque où, dans le boudoir de Mme Récamier, en présence d’un auditoire soigneusement trié sur le volet, commencent les premières lectures des Mémoires d’Outre-Tombe, dont cette Revue eut, au mois de mars 1834, l’honneur de publier, la première, un fragment important. Pareil régal ne fut pas dispensé aux seuls habitués de l’Abbaye-au-Bois. Le passage Sainte-Marie en eut parfois sa bonne part : témoin la lettre que je transcris plus loin et ce billet d’Augustin Thierry à Ary Scheffer :


« Mon cher ami,

« Julie espérait vous rencontrer hier chez M. Viardot et vous

  1. D’abord fixée à 3 000 francs, elle fut élevée à 4 500 en 1837.
  2. Aujourd’hui rue Saint-Simon.