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Les quelques indications suivantes sur des études publiées par le colonel Mayer de 1888 à 1891 dans diverses revues techniques suffiront à donner une idée de l’acuité de ses vues et se passent de commentaires. Il convient cependant, pour les situer exactement, de rappeler qu’elles ont été écrites à l’époque où la doctrine en service évoluait nettement dans le sens de l’offensive à découvert menée par l’infanterie.

On venait d’inventer la poudre sans fumée. A côté de considérations sur l’influence particulière qu’elle pouvait avoir sur la psychologie et le moral des combattans, influence qu’il s’est, à mon sens, un peu exagérée, l’auteur voit nettement les effets de la nouvelle invention sur la tactique. Il montre qu’au tableau naguère si animé de la bataille, empanachée de fumées qui indiquaient les positions des tireurs et des canons, va succéder le champ de bataille invisible ; que le combat sera une sorte de « colin-maillard » où celui qui tire, abrité, est, tant qu’il n’est pas repéré, presque invulnérable du fait de son invisibilité, ce qui donne un gros avantage à la défensive ; que les armées joueront en quelque sorte à cache-cache, chacun cherchant à voir sans être vu ; de là l’emploi indiqué d’observatoires élevés ou aériens (aérostats) ; « voir et ne pas être vu : c’est ce qui fait la force de la défense. » Tout cela substituerait la guerre d’immobilité à la guerre de mouvemens.

Quelques-unes de ces idées étaient admises en même temps par d’autres officiers, mais nul ne les a conçues avec tant de profondeur, exposées avec tant de netteté. Le colonel Mayer voyait dès lors très diminuée l’importance du combat à l’arme blanche. Napoléon déjà avait dit : « L’arme à feu c’est tout, le reste n’est rien. » M. Mayer se demandait même si « le combat ne se composera pas tout simplement du duel d’artillerie… Les autres armes ne serviraient qu’à assurer la sécurité de celle-ci et à lui procurer les renseignemens dont elle a besoin. »

Au sujet enfin de la conduite générale des opérations, et contrairement à l’opinion émise par M. le général Cherfils d’après laquelle le colonel Mayer aurait condamné en principe toute offensive stratégique, celui-ci a préconisé dès 1889 d’ « allier l’offensive stratégique à la défense tactique, c’est-à-dire se jeter chez l’ennemi, lui prendre par surprise des positions excellentes et qu’il n’aurait jamais dû laisser occuper, s’y établir et attendre ses retours. » — C’est exactement ce