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ses convives empochaient comme des olives. Quant à l’indulgence de la Reine, elle vous suppliait de n’oublier pas que Marie Leckzinska, lors de la fuite du Roi son père, s’était cachée dans l’auge d’une écurie : ainsi, la Reine avait aperçu mieux que personne le long intervalle qu’il y a entre le besoin et les richesses, compté mieux que personne les degrés qui vont du malheur à la fortune.

Samuel Bernard possédait à merveille ces principes d’une philosophie incertaine et qui peut aboutir soit à l’abnégation, soit à la convoitise. L’abnégation ne le tentait pas : et toute son existence est consacrée au soin de sa convoitise. L’argent d’abord. Mais l’argent pour les divers plaisirs que l’argent procure. Il n’est pas un avare ; il ne craint pas les hauts et les bas de la fortune. Il joue. S’il gagne, il est content ; et, s’il perd, il veille à ses dédommagemens : il est, dans toute son entreprise de financier, tel qu’on l’a vu chez la duchesse de Tallard, près de la jeune Flamarens : il ne néglige pas sa volupté.

A peine fut-il en mesure de vivre à ses goûts, il choisit une maîtresse. Madeleine Clergeau, son épouse, était une bonne femme qu’il avait agréée aux temps de leur modestie. Il n’eut point à se plaindre d’elle, qui était simple et anodine, et qui était fort bien l’épouse d’un marchand drapier de la rue du Bourg-l’Abbé. Elle ne convenait plus au roi de la finance, la pauvre Madeleine Clergeau ; mais, alors, elle sut doucement s’effacer. Elle ne mourut pas ; elle vécut même jusqu’au 17 novembre 1716 : elle vécut sans faire de bruit, sans montrer nulle impatience ! Depuis des années, Samuel Bernard avait pour maîtresse une très jolie femme, et à la mode, Manon Dancourt, fille de Dancourt, l’auteur et le comédien, et la sœur de cette autre jolie, Mimi Dancourt, qui fut la mère d’une autre jolie encore, Mme de la Pouplinière. Manon Dancourt, comme sa sœur, avait été quelque temps au théâtre ; puis elle s’en était retirée pour épouser M. de Fontaine, ancien commissaire de la marine et des galères de France : elle donna une fille à M. de Fontaine, puis trois à M. Bernard. Les trois filles illégitimes de M. Bernard, ce furent Mme de la Touche, — laquelle, dit Jean-Jacques, fit une escapade en Angleterre avec le duc de Kingston ; — Mme d’Arty, qu’aima le prince de Conti ; et Mme Dupin.la plus belle et aussi la plus sage : Rousseau l’a aimée, sans nulle espérance. On appelait ces jeunes femmes les Trois Grâces : leur beauté faisait grand honneur à M. Bernard. Et Mme de Fontaine, Manon Dancourt, M. Bernard lui acquit au bord de la Seine, en face de Grenelle, un domaine très somptueux et qui comportait la seigneurie de Passy. La dépense fut digne de la maîtresse et de l’amant, plus de trois cent