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que l’héroïne meurt au milieu de colonnes de feu. — Ce trait de sensibilité germanique rappelle celui de cet étudiant qui, pénétrant dans le château « horriblement dévasté » de Blamont, ne peut réprimer d’abord un frisson d’épouvante, mais se console en découvrant une partition intacte de Tristan et Yseult et déclare avoir passé des « heures inoubliables » en jouant au piano ce « chant de l’amour allemand[1] ! »

Dans d’autres récits, analogues pour le fond à celui de Marschner, quelques détails particulièrement atroces ajoutent encore à l’impression d’hallucinante horreur qui s’en dégage. Ici, ce sont des villages dont la traversée a été rendue impossible par l’odeur de chair brûlée qu’ils exhalent ; là, les rues sont obstruées par des cadavres d’habitans, dont le sang coule en ruisseaux sur les bords et parmi lesquels on remarque des femmes ou des enfans de quinze ans ; ailleurs, c’est une ferme dans laquelle un soldat trouve une femme à l’air égaré, serrant sur son sein le plus jeune de ses quatre enfans, et n’ayant même plus la force de pleurer son mari étendu sur le seuil, la poitrine trouée d’une balle[2]. On se lasse plus vite de lire le récit de ces cruautés que leurs auteurs ne semblent avoir éprouvé d’embarras a les avouer ; et l’on se demande par quelle aberration d’esprit ils auraient évité de les taire, s’ils n’avaient pour les justifier d’impérieuses raisons.

Ces raisons, toujours brièvement présentées d’ailleurs, se réduisent à une seule : d’après eux leurs rigueurs n’auraient été que des représailles contre les villages d’où l’on aurait tiré sur leurs troupes. L’examen le plus superficiel de leurs témoignages suffit à montrer la pauvreté de ce système de défense. Tout d’abord, leurs accusations contre la population civile sont presque toujours indirectes et présentées sous cette forme dubitative : « On nous dit, » ou « d’après ce qu’on nous raconte ici. » Quelques-unes sont franchement invraisemblables, telles que celle qui représente les femmes de Liège comme déversant sur les soldats allemands des torrens d’huile bouillante. Presque toutes demeurent d’une fâcheuse imprécision. Les coups de feu tirés sur les envahisseurs ont pu l’être, soit par des réguliers de

  1. Marschner, pp. 12-25 ; Witkop, pp. 14-15.
  2. Krack. pp. 23, 32 ; Wiese, pp. 118-119 ; Kutscher, pp.45-47, 60 ; Der deutsche Krieq in Feldpostbriefen, IV, pp. 36, 69-70, 185, 228 ; Thümmler, II, p. 14, III, p. 24 ; VI, p. 12, XXVII, p. 29.