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ON CHANGERAIT PLUTÔT LE CŒUR DE PLACE…

peux attendre de retourner dans l’atroce mêlée d’où sortira, nous le voulons, une humanité moins hideuse. ; Adieu.

Votre

Jean Bohler.

1" juillet 1915.

Cher monsieur,

Un mot seulement. Me voici sur un sommet des Vosges, je ne peux vous dire exactement où. Mais je vois très distinctement, à la lunette, la maison de mes parens, la fenêtre de la ,salle d’études. Parfois, quelque chose se déplace dans le jardin. Je dis : quelque chose, tant c’est vague. Mais je pense : Voilà maman... voilà papa... Et les Boches à cinquante mètres. En vérité, cette guerre, pour nous, est épatante, même quand on en meurt. Est-ce qu’on ne fait pas ce qu’on doit ? Si vous aviez vu ce que nous avons vu ! Je vous assure que cette guerre est une croisade. Devant nous, la plaine d’Alsace, les ruines de Cernay, de Watwiller, d’Uffholz, là-bas les fumées de Mulhouse, le coude du Rhin... La griffe du Boche est encore plantée là dedans... Où se dissimule Kummel ?... Pourvu que la Providence nous mette en présence I... Nous avons tant de choses à nous direl

Votre ami,

René Bohler.

De Victor Weiss.

Friedensbach, 15 septembre 1915.

Cher monsieur et ami,

Nos cœurs sont dans l’angoisse. Sur le front de Champagne, François a reçu une terrible blessure. Jambe gauche broyée, amputation au-dessus du genou. Notre pauvre mutilé nous envoie des lettres si belles que nous osons à peine le plaindre. Il nous reviendra, dans quel état ! mais il nous reviendra. François mutilé... 11 y a plus triste encore. De Charles, depuis bientôt un an, pas un mot, rien, rien, rien. Nous avons remué ciel et terre sans obtenir un signe de vie. C’est alïreux...