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Dans la matinée du 6, la proclamation est publiée. Elle transforme la principauté vassale en un royaume allégé de la suzeraineté qui pesait sur lui et Ferdinand Ier, hier encore tributaire de la Turquie, devient roi avec le titre de tsar des Bulgares, qui lui sera désormais dévolu. C’est celui que portèrent, du Xe au XIIIe siècle, les souverains nationaux, alors que l’empire bulgare s’étendait du Pont-Euxin a la mer Adriatique et du Danube à la mer Egée.

Les péripéties diplomatiques qui se sont déroulées alors sont encore présentes à toutes les mémoires. Mécontente de la conduite de Ferdinand et des résolutions de l’Autriche-Hongrie, la Russie n’admettait pas que la Bulgarie eût consulté ses seules convenances pour ouvrir une crise en Orient. « Nous voulons aussi prouver à l’Autriche qu’elle n’est pas encore maîtresse de la péninsule balkanique. » C’étaient là de graves paroles sur lesquelles venaient se greffer les vagues menaces de la Turquie refusant d’accepter les faits accomplis, mais dont le refus ne pouvait être que platonique alors qu’on la savait hors d’état de prendre les armes. Un grand trouble a régné alors dans toute l’Europe, mais bientôt il se dissipera, la Russie, sous la pression allemande et dans un désir de paix, ayant adhéré à l’annexion des provinces acquises par les Autrichiens. Cette adhésion conjurait la guerre et, du même coup, assurait à Ferdinand l’absolution par les Puissances de l’acte audacieux qu’il venait d’accomplir.

Moins de deux ans après la révolution de Constantinople, il était démontré qu’elle n’avait tenu aucune de ses promesses ni réalisé la pacification intérieure de l’Empire ottoman. Comme sous le règne d’Abdul-Hamid, les chrétiens étaient victimes du caprice et du fanatisme. Loin que le gouvernement Jeune-Turc s’efforçât d’améliorer leur sort, il semblait avoir pris à tâche de l’aggraver en encourageant intentionnellement, ou par impuissance ou négligence, les atrocités auxquelles se livraient ses agens en Macédoine, en Thrace, en Albanie.

L’opinion se créait de toutes parts en Europe que ce qui se passait en Turquie était pour elle le commencement de la fin, et qu’avant peu, la chute de l’Islam étant devenue définitive, son héritage serait bon à recueillir. Dans les États balkaniques, candidats naturels à cette succession, des espérances et des convoitises s’éveillaient, mais dans aucun d’eux avec autant de