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cuirassiers qui commandent son escorte, et, d’un accent dont son émotion réelle ou jouée veut attester la sincérité, il dit :

— Ici je suis bien à ma place.

Ce qu’il ne dit pas, c’est que la conduite que devraient lui dicter de tels sentimens sera toujours subordonnée au but qu’il poursuit, régner sur l’Islam rendu à la chrétienté, tel est l’idéal qui le guide et le fait agir, mais bien moins dans un intérêt de civilisation que dans un intérêt dynastique. Cet idéal ne cessera pas de le hanter, il parvient même à y associer sa femme. Il existe une carte postale où la princesse Marie-Louise est représentée assise sur un trône dans le costume historique des impératrices de Byzance.

Le mobile de sa conduite une fois précisé, il n’y a plus qu’à enregistrer pour l’histoire les prodiges de duplicité et les innombrables mensonges auxquels il a recouru afin d’assurer sa marche vers un avenir de grandeur tel qu’il le rêve et le souhaite pour lui et pour sa dynastie. A côté de ces traits révélateurs d’une âme tortueuse, il en est d’autres d’un caractère presque puéril et plus inoffensif qui perdent singulièrement de leur intérêt. Il importe peu, par exemple, qu’il ait toujours manifesté pour tous les raffinemens du luxe le plus effréné sur sa personne et autour de lui un goût excessif. Les bijoux, les fleurs, les résidences royales construites à grands frais, ses mœurs efféminées, sa pusillanimité devant le péril, son aversion pour le métier des armes, tout ce qu’on a dit de lui à cet égard est de l’histoire ancienne, et si de tels faits sont parfois inquiétans et peuvent être critiqués, ils constituent surtout la preuve d’une frivolité qu’on lui pardonnerait aisément s’il la rachetait par d’autres mérites. Sourions et haussons les épaules lorsqu’il pare de cabotinage la pratique de ses devoirs religieux, lorsque, au seuil de sa chapelle, l’eau bénite est offerte aux invités sur un bouquet de violettes transformé en goupillon ; mais soyons moins indulgens lorsque son mysticisme, fait de superstition et de crainte de l’enfer, ne l’empêche pas de transiger avec sa conscience et lorsque sa religiosité est impuissante à le rendre bon et franc, tolérant et humain. Humble et souple avec ce qui est au-dessus de lui, nous le voyons arrogant, dépourvu de bonté envers ce qui est au-dessous, comme lorsque, à sa cour, pendant un dîner qui réunit autour de sa table plusieurs convives, il interpelle durement un fonctionnaire de sa maison