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Toutes les petites filles, pour elle, étaient des « poisons. » Elle prononçait « pouéson » comme au XVIIe siècle. Quand une bambine de quatre ans avait commis quelque méfait, elle déclarait aux voisines :

— Je vous demande un peu ! Un p’tiot « trôpois » comme ça, c’est déjà une « poison ! »

Mais, si elle rencontrait la petite pendue aux jupes maternelles, elle lui disait, pour flatter la mère :

— Et vous donc, ma belle ? Vous qui êtes si gentille !…

Les travaux des champs, les métiers, les menus événemens de la vie rustique lui fournissaient aussi une foule d’expressions d’un bouquet bien local. Au printemps, lorsque, sous un pâle rayon de soleil, les premières pousses des légumes commençaient à percer à travers les couches boueuses de nos jardins, elle se dilatait, à cette vue, en son cœur de propriétaire :

— Ah ! disait-elle, voilà que ça commence à « débourbiller ! »

À l’époque de la Fête-Dieu, on entendait de sa cuisine les coups de marteau du menuisier, qui dressait la carcasse d’un reposoir. Cela prenait une bonne matinée. La mère Charton s’énervait au bruit de tous ces bois que l’on clouait, que l’on entre-choquait. Elle se tenait la tête à deux mains, en gémissant :

— Je deviens « tournasse. » Voilà plus de deux heures qu’ils sont en train de « boquiller ! »

À l’automne, elle « remettait son bois, » selon l’expression consacrée, c’est-à-dire qu’elle en faisait sa provision. Une charrette le lui amenait des forêts voisines, de Mangiennes, ou de Billy. Des hommes farouches le sciaient ou l’entassaient devant sa porte. C’était l’époque où elle ne parlait que de « rondins, » de « soquettes, » d’« ételles, » ou de « charpagnes. » Et, pour inaugurer la saison, elle allumait « une bûlée » sur son foyer. Mais, parmi les choses et les bêtes de la maison, les poules surtout l’inspiraient. Elle avait, pour ces bestioles, des trésors d’expressions originales. Une mère-poule commençait-elle à se déplumer et à perdre sa queue, la vieille se lamentait :

— La voilà toute « déconrée ! » Une si bonne couveuse !…, En revanche, un jeune coq nerveux et pétulant était, pour elle, « un beau petit jau. » La basse-cour s’appelait la « pou-