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entreprise qui était sans doute assez importante, Spincourt se trouvant sur la grande route du Luxembourg et du Palatinat. D’ailleurs, la dimension des granges et des écuries, qui occupaient plus de la moitié du corps de logis, témoignait assez que ç’avait été autrefois un lieu de passage très fréquenté. Le logis lui-même était assez confortablement aménagé. Il tenait d’un côté a l’ancien hôtel des Armoises, qui, de mon temps, était devenu une auberge, — l’auberge du Lion d’Or, — mais dont le portail trapu et, si je ne me trompe, surmonté d’un écusson armorié, le distinguait des autres maisons du village. Au temps du maître de poste, l’auberge se trouvait naturellement chez lui.

La cuisine, que n’animait plus le va-et-vient des voyageurs, mais restée à peu près intacte, me paraissait immense, curieuse comme un musée, avec tout son attirail d’ustensiles, dont on ne se servait plus et dont j’ignorais l’usage, — son pétrin, ses huches, ses dressoirs encombrés de mesures, de poids, de balances, de « possons » de toute forme et de toute grandeur : boisseaux pour mesurer l’avoine aux palefreniers, chopines pour l’huile et pour le lait, pichets d’étain ou de plomb pour le vin. Au fond, une grande fenêtre sans rideaux s’ouvrait sur une courette encadrée de hauts murs tout verdis de mousse, avec un puits, et, béante comme un gouffre, l’ouverture de la cave, — « la cave enfoncée » des rimeurs gastronomiques du XVIIIe siècle. Mais la maîtresse pièce de cette cuisine était une cheminée monumentale, comme il convient dans une auberge. C’est ce qu’on appelait « le foyer. » Cuisiner au foyer était un usage, qui séparait comme une frontière les gens de Spincourt des gens de Briey, lesquels se servaient d’un fourneau de fonte.

Le foyer de la mère Charton, comme tous ceux du pays, était formé d’une large plaque de fonte, que deux supports de maçonnerie exhaussaient un peu au-dessus du sol, et où se drossait autrefois la rôtissoire, au milieu d’une armée de casseroles et de marmites. De mon temps, on n’y voyait plus qu’un petit tas de cendres, entre deux landiers, et la terrine de terre brune où mijotait la soupe de la bonne vieille. Mais tous les accessoires étaient restés en place : tisonniers, soufflet, boîtes à épices. La crémaillère pendait encore au-dessus de l’âtre, inutile maintenant, mais toujours enfumée et grasse de suie. Cette crémaillère, avec ses articulations, ses crochets, ses boucles, ses fioritures, était un pur chef-d’œuvre de serrurerie. Le