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attirèrent des curieux de dix lieues à la ronde. Nous avions alors un jeune curé plein de zèle et d’ambition (je crois bien qu’il est mort chanoine de la cathédrale de Verdun). Or, je ne sais comment, il découvrit dans le clocher tout un lot de reliques, qu’on y avait cachées pendant la Révolution. L’exaltation de ces reliques servit de prétexte à ces fêtes sans précédent. L’évêque avait délégué un vicaire général pour présider les cérémonies. Tout le clergé de l’arrondissement était accouru avec des troupeaux de fidèles. À la grand’messe, il y eut un sermon interminable, qui ébaubit fort nos bonnes gens, un sermon savant, prononcé par un professeur du séminaire. Cet ecclésiastique, encore tout émotionné d’un récent pèlerinage à Rome, nous parla des Catacombes, des cimetières de Calixte et de Domitilla… Rome, les Catacombes, Domitilla ! Quel éblouissement pour un petit garçon qui patauge toute l’année dans les boues de la Woëvre ! J’ai gardé une longue reconnaissance au prédicateur inconnu, qui laissa tomber sur nous ces beaux noms, comme s’il m’eût rempli la main de pièces d’or… Le soir, au milieu d’un grand concours de peuple, entre deux files de prêtres en surplis, on promena, dans leurs châsses neuves, les reliques miraculeusement retrouvées. On processionna pendant des heures à travers les rues du village tendues de guirlandes de mousse et pavoisées d’oriflammes fleurdelysées.

Ces processions continuelles nous avaient tellement surexcité l’imagination que, pendant tout un été, mon ami Louis Génin et moi, nous fîmes des reposoirs dans le grenier de notre maison. Nous passions des journées entières à confectionner des bannières en papier. Nous en avions une, magnifique, en mousseline blanche parsemée d’étoiles et de fleurs de lys, que nous arborions en permanence à la lucarne du grenier. Et je me souviens qu’un jour, la bonne du député, notre voisin, petite personne effrontée qui arrivait de Paris, en levant le nez en l’air, aperçut notre oriflamme, et se mit à ricaner :

— Tiens ! v’là le drapeau blanc !

Nous ignorions totalement la signification du drapeau blanc. Mais les moqueries de la Parisienne nous inspirèrent pour le nôtre une sorte de fanatisme. Avec obstination nous le maintînmes à la lucarne, pour narguer la bonne du député, qui était alors considéré comme un « rouge. » Ce fut ma première, et bien involontaire, manifestation royaliste.