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fait que, la semaine suivante, la garnison de Damvilers capture les cochons de Stenay. Les paysans, qui se voient enlever leurs bestiaux, leurs grains, leurs fourrages, toutes leurs provisions, émigrent en Belgique ou en France. Des villages restent déserts pendant plusieurs années… Et voici que cette lamentable histoire se recommence ! Hier, à Nice, ô ironie ! sous les palmiers d’un beau jardin, devant l’azur uniformément radieux de la Baie des Anges, des exilés de mon pays, des laboureurs de Montfaucon et de Consenvoye, me racontaient leur fuite affolée sous les bombes allemandes, à travers le Barrois encore une fois envahi. Ce qu’ils regrettaient le plus de leur logis saccagé, de leur bien perdu, c’étaient, comme toujours, les bestiaux, — les chevaux surtout. Une femme me disait :

— Nous avions une jument !… Ils nous l’ont prise, tuée peut-être !… La pareille n’existait pas ! Avec tout l’or du monde, on ne nous la rendra jamais !

Devant ce désespoir, qui ne perd jamais de vue les compensations pécuniaires, devant la désolation à la fois rusée et naïve de ces pauvres gens, victimes des soldats de Guillaume II, je croyais entendre la plainte sans fin des ancêtres, rançonnés par les compagnies de l’archiduc, ou massacrés par les reîtres de Sa Majesté Apostolique.

Enfin, après des siècles de tribulation et de misère, ce fut la Paix française. Le Sire des fleurs de lys finit par rechasser dans son aire l’Aigle à deux becs, avec tous ses gerfauts et tous ses roitelets de Germanie. Depuis le traité des Pyrénées jusqu’à la Révolution de 89, pendant un peu plus de cent ans, notre province goûta une tranquillité à peu près complète. Il y eut bien encore maintes alertes ; les passages de troupes étaient fréquens et les réquisitions militaires continuaient à s’abattre sur l’habitant. Mais on en avait tellement l’habitude ! Et puis, maintenant, les garnisaires étaient des protecteurs et non plus des pillards ou des bourreaux. On reprenait confiance, parce que, désormais, on se sentait, appuyés sur une grande force. L’orgueil de participera la force française, une reconnaissance plus ou moins consciente, mais profonde, pour la sécurité qu’elle donnait, tous ces sentimens ne tardèrent point à faire de notre Lorraine la province peut-être la plus loyaliste de tout le royaume. (J’entends par là, naturellement, notre petit pays