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elle a si vivement contredite. L’auteur qui, suivant l’admirable précepte de Dumas fils, a déjà le mouvement et le mot de la fin, lui a dit : « Tu te crois une fille modèle ; et bien ! pour sauver ta fille, tu tueras ta mère. » C’est à ce dénouement qu’il faut graduellement nous conduire. Et ce sera ce qu’il fallait démontrer.

Une occasion se présente pour Sabine de refaire sa vie. Le richissime Américain Stangy lui offre de l’épouser. Disons tout de suite, dès la première rencontre, que ce rôle de Stangy n’est pas seulement l’un des moins bons de la pièce : il est autre chose et pis que cela, étant factice et conventionnel. Il datera, il date déjà dans cette pièce faite pour durer. Il représente l’Américain tel que le théâtre avait coutume de nous le montrer, dans les années qui ont précédé la guerre, pour le plus grand ébahissement du public français. À l’Américain toutes les hardiesses, l’énergie, l’initiative, la volonté ; au Français la veulerie, la timidité, toutes les déliquescences. Rappelez-vous, dans l’Etrangère, M. Clarkson, Américain, en face du duc de Septmonts, Français ! Stangy a été confectionné au même rayon ; et, tout d’abord, l’auteur lui a ménagé une entrée sensationnelle : nous sommes prévenus que ce M. Stangy, tel que nous le voyons en habit noir avec une fleur à sa boutonnière, va du salon de Sabine partir pour la Louisiane, directement, sans rentrer chez lui, N’êtes-vous pas suffoqués de tant d’audace ? Aller en habit à la gare et changer de vêtement en sleeping, cela, en 1901, semblait un de ces prodiges de vie intense dont on n’est capable que dans le Nouveau Monde. Tant il est vrai que nous nous tenions alors en petite estime ! Aujourd’hui, nous ne mésestimons personne : du moins avons-nous changé d’opinion sur nous-mêmes, et l’envie nous est-elle passée d’aller chercher hors de chez nous des professeurs d’énergie et de fierté. Ce Stangy qui a résolu de prendre femme dans le quart d’heure qui précède le départ du paquebot, est fort ridicule, n ne le sera guère moins quand, revenu au dernier acte en deus ex machina, il larmoiera sur la mort de son petit enfant. Non, ce n’est pas un bon rôle. Toujours est-il qu’en refusant d’épouser le richissime Stangy, Sabine Revel s’est sacrifiée, et sacrifiée pour sa fille. On me dit : « Cette femme est absurde : quel tort faisait-elle à sa fille ? » Elle s’imaginait lui en faire un, et cela suffit. Scrupule peut-être imaginaire, c’est à ce scrupule qu’elle a sacrifié son propre intérêt, et c’est sa manière de comprendra l’amour maternel… A cette minute précise, avec une ponctualité de mécanisme bien remonté, se produit cet événement foudroyant et dérisoire : Marie-Jeanne épouse le