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son invisible trajectoire sifflante, courbée en forme de parabole comme celle des comètes. Puis soudain, c’est le « boum » formidable qui nous gifle en passant, puis un gros nuage jaune devant la tranchée boche suivi du croassement énorme de l’éclatement. Deux mots au téléphone pour faire allonger le tir qui était un peu court, et on recommence. Cette fois, c’est bien tapé. Une gerbe confuse vole en l’air, avec les débris du parapet, des piquets de fil de fer et, au milieu de ce brouillard jaune, deux Boches aux contours diffus, on dirait peints par Carrière, bras et jambes largement étendus et courbés, comme des plongeurs.

Ce même jour, j’ai entendu en rentrant au cantonnement un des plus jolis mots qui soient jamais tombés de la rude barbe d’un guerrier français. Comme nous nous abritions un instant derrière les murs pantelans du petit village de X… (à moins que ce ne soit W… ou Z…,) on s’y perd dans cette géographie majuscule, que les Boches « marmitaient » violemment depuis une heure, nous avisâmes un marsouin qui, inexprimablement hirsute, roulait des yeux furibonds derrière le demi-mur où il montait la garde, tout maculé de débris par un obus qui venait d’éclater a deux pas : « Il faut se méfier avec ces s…-là, nous cria-t-il ; ils ne font pas attention où ils tapent ; ils finiraient par vous crever un œil. »

Les effets plongeans des obus de 220 que nous observâmes ce jour-là sont actuellement encore dépassés de beaucoup avec les gros obusiers récens, dont le 400, malgré son projectile de près d’une tonne, n’est pas le plus puissant.

Les effets d’écrasement et de destruction de ces projectiles d’artillerie lourde sont dus, pour une large part, comme dans les engins de tranchée, à leur grande capacité d’explosif, mais aussi à leur poids et à leur forte vitesse restante qui les fait pénétrer très avant dans la terre. Ils sont d’ailleurs munis de fusées plus ou moins retardées qui ne les font éclater qu’une fois cette pénétration achevée. C’est ainsi que, sur la Somme, on est venu à bout des abris boches les mieux protégés. Quant à la puissance mise en jeu, elle est formidable : pour n’en prendre qu’un exemple, l’obus de 540 kilos de notre 340 de marine tombant en un point où sa vitesse est réduite à la moitié de sa vitesse initiale, c’est-à-dire à 400 mètres par seconde, possède encore une force vive capable de lancer un poids de