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« Vous avez fait vos réglages sur tel chemin ? oui ? Vous êtes en surveillance sur lui ? oui ? Vite quelques salves sur la relève des Boches que l’infanterie y signale. » Le récepteur raccroché, trois minutes encore s’écoulent, puis soudain douze coups de tonnerre sur nos têtes, douze longs sifflemens, comme d’une bise satanique, et quelques instans après douze bruits plus sourds.

C’est la première salve triple qui fait son œuvre ; après un intervalle où les secondes sont des siècles, le même jeu sonore recommence. Puis, une fois encore. C’est fini maintenant. Un coup de téléphone du commandant X…, tout joyeux, nous annonce que tout a bien marché : il voit les fantassins allemands couchés par tas et par douzaines dans le chemin creux où ils ont été surpris. La bonne mélinite a fait sa besogne et plus d’un ne connaîtra plus jamais les grâces blondes de sa Gretchen, ni les grâces, brunes de la lourde bière germanique. Mais aussi, qu’avaient-ils à chercher aventure si loin de chez eux ? Puis, l’e récepteur raccroché avec amour, comme on raccroche au râtelier un bon fusil après la chasse, nous reprenons notre musique… et je crois même que nous jouâmes encore un peu de Beethoven et de Schumann…

Et voilà une de ces petites choses qu’on vit cent fois tous les jours sur la ligne du feu, et qui sont riches de sensations neuves et toutes fleuries de suggestives pensées. En ce pays meusien, tout cela est imprégné en outre de je ne sais quelle poésie pastorale qu’on ne sent point dans les plaines boueuses et ternes du Nord. Ici, il y a les sapins, sombres et droits comme la vertu, mais sous lesquels la mousse est si douce aux citadins devenus guerriers et déshabitués du velours ; il y a le givre diamanté, il y a jusqu’au nom même des villages… Kœur-la-Grande, Kœur-la-Petite, étranges et tendres, avec quelque chose de gaélique ou de Scandinave, et qui contribuent adonner à ces marches de la patrie leur charme mélancolique et prenant.


Par le petit exemple qui précède, on devine combien était nécessaire, combien est précieuse, aujourd’hui qu’elle est complètement réalisée, la liaison intime de l’artillerie et de l’infanterie. Le synchronisme que cette liaison établit entre les diverses armes a doublé l’efficacité de chacune, car, à la guerre